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de fatiguer inutilement son équipage. Il avait donné ses ordres à Bunting, et il descendit sans répondre à cette question muette, ni de vive voix ni par un signe. Les arrangements pour le déjeuner avaient été faits dans sa seconde chambre d’une manière aussi comfortable que si le déjeuner eût été servi dans sa propre maison. Ils s’assirent tous trois, et commencèrent leurs opérations de grand cœur. Le vice-amiral ordonna que les portes fussent ouvertes, et comme les mantelets des sabords étaient levés, de la place où il était, il pouvait voir au vent et sous le vent, un vaisseau du renfort qu’il attendait, aussi bien que l’ennemi. Les Bowlderos étaient en grande livrée, et montraient encore plus d’attention et d’activité que jamais. Leur poste pendant un combat, car personne ne reste oisif pendant le combat à bord d’un bâtiment de guerre, était sur la dunette. Ils étaient armés d’un mousquet, et étaient près de leur maître, dont ils portaient les couleurs, comme les vassaux d’un ancien baron sous la bannière de leur prince. Malgré la crise du moment, ils remplissaient leurs fonctions ordinaires avec la précision et la méthode du domestique anglais, sans omettre le moindre détail de leur service. Sur un sofa derrière la table était préparé un grand uniforme de vice-amiral. Suivant l’usage du temps, cet uniforme n’avait ni broderies ni épaulettes, mais il était décoré d’une étoile en brillants, emblème de l’ordre du Bain. Sir Gervais le portait toujours les jours de bataille, à moins que le temps ne rendît nécessaire un uniforme de tempête, comme il appelait un habit plus simple.

Le déjeuner se passa fort agréablement, et chacun y fit honneur comme si des événements très-importants n’allaient pas se passer. Comme il allait finir, sir Gervais se pencha en avant pour regarder par un des sabords au vent de la chambre, et une expression de plaisir brilla sur son visage.

— Ah ! s’écria-t-il, voilà enfin les signaux de Bluewater qui marchent.

— J’ai été fort surpris, sir Gervais, dit Greenly d’un ton un peu sec, quoique avec un air de grand respect, que vous n’ayez pas ordonné au contre-amiral d’augmenter de voilure. Son allure est celle d’un lourd wagon, et pourtant je ne puis croire qu’il prenne ces cinq vaisseaux pour des bâtiments français.

— Il ne se presse jamais, et il désire sans doute laisser à ses équipages le temps de déjeuner avant de s’approcher davantage. Je vous garantis que les ponts de tous ses vaisseaux ne sont pas en ce moment plus encombrés que la nef d’une église quand le dernier amen a été prononcé.