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montrait plus de nonchalance dans sa profession que le vice-amiral. Ni un ouragan ni un calme ne troublait la tranquillité de sa vie intérieure dans sa chambre, quand il avait une fois donné les ordres qu’exigeait la situation de son escadre. La perspective prochaine d’un combat ne changeait pas une minute à l’heure de ses repas, et n’apportait aucune différence au cérémonial avec lequel ils étaient servis ; jusqu’à ce qu’on eût démonté les cloisons et qu’on eût fait le branle-bas pour se préparer à combattre. Quoique opiniâtre dans des bagatelles, et quelquefois un peu irritable, sir Gervais, en tout ce qui concernait sa profession, était pourtant un grand homme dans les grandes occasions. Il avait un caractère ardent et un esprit hardi et décidé, et comme tous les hommes doués de ces qualités et qui savent discerner la vérité, quand il la voyait, c’était si clairement, que tous les doutes qui assiègent les esprits moins fermes étaient jetés dans l’ombre et disparaissaient. En cette occasion, il était sûr qu’il ne pouvait arriver rien qui dût troubler son repos, et il soupa avec la même tranquillité que s’il eût été à terre et dans la sécurité du repos. Bien différent de ceux qui ne sont pas habitués à des scènes d’agitation, il se coucha avec le plus grand calme, et dès qu’il eut la tête sur l’oreiller il s’endormit d’un profond sommeil.

Un homme sans expérience dans la marine eût trouvé un sujet curieux d’observation dans la manière dont les deux escadres manœuvrèrent toute cette nuit. Après plusieurs heures d’efforts inutiles pour mettre leurs ennemis à portée de leurs canons, quand la lune fut levée, les Français y renoncèrent pour le moment, diminuèrent de voiles, et la plupart de leurs officiers supérieurs prirent un peu de repos.

Le soleil se levait à peine, quand Galleygo appuya une main sur l’épaule du vice-amiral, suivant l’ordre qu’il en avait reçu la veille. Ce léger attouchement suffit ; sir Gervais s’éveilla sur-le-champ, et se mettant à son séant, il lui fit la première question qui se présente à l’esprit d’un marin : — Eh bien ! dit-il, quel temps fait-il ?

— Une bonne brise à porter les perroquets, sir Gervais, répondit Galleygo, et c’est tout juste ce qu’il faut à ce vaisseau. Si vous vouliez seulement le lâcher sur ces jeans-crapauds[1], il tomberait sur eux en une demi-heure, comme un faucon sur un poulet. Et à propos de poulets, sir Gervais, j’ai à vous faire le rapport que le dernier va vous être servi pour votre déjeuner, à moins que nous ne donnions ordre au maître d’hôtel des officiers de nous donner quelques-uns des

  1. Sobriquet délicatement choisi pour désigner les Français.