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— Je n’ai pas envie de connaître vos secrets, sir Wycherly ; ainsi laissons ce sujet à l’écart. Mais vous pouvez me dire si l’amiral Bluewater montrait l’ardeur et la gaieté qui caractérisent un marin anglais quand il a devant lui la perspective d’une grande bataille.

— Non, sir Gervais ; il avait au contraire l’air mélancolique, et j’ai même cru, une ou deux fois, voir une larme dans ses yeux.

— Pauvre Dick ! pensa le vice-amiral, il n’aurait jamais pu songer à m’abandonner sans éprouver une grande angoisse d’esprit. — Vous a-t-il dit quelque chose ajouta-t-il tout haut, relativement la flotte de M. de Vervillin ?

— Oui, certainement, amiral, il m’en a parlé beaucoup ; mais je ne pourrais résumer exactement ce qu’il m’a dit. Il paraissait croire que le comte de Vervillin n’avait pas dessein de frapper un coup contre quelqu’une de nos colonies, et à cette idée il semblait rattacher celle qu’il en était moins nécessaire de l’attaquer. Mais je ne puis me tromper sur le désir qu’il a que vous évitiez tout engagement avec l’amiral français jusqu’à ce qu’il vous ait rejoint.

— Oui, et vous avez vu avec quel instinct j’ai exécuté ses désirs, dit sir Gervais avec un sourire amer. Cependant, si la seconde division de la flotte eût été avec nous ce matin, la journée eût été glorieuse pour l’Angleterre.

— Et ne l’a-t-elle pas été, sir Gervais ? Nous avons tout vu bord du Druide, et il n’y avait pas un de nous qui ne se félicitât d’être Anglais.

— Quoi même le Virginien ? dit le vice-amiral charmé d’un compliment qui ne sentait pas la flatterie et souriant en le regardant d’un air amical. Je craignais que les sarcasmes que vous avez entendus dans le Devonshire ne vous eussent porté à vous regarder comme faisant partie d’une nation différente de la nôtre.

— Même le Virginien, amiral. Vous avez été dans les colonies, et vous devez savoir que nous ne méritons pas tout ce qu’on dit de nous de ce côté de l’Atlantique. Le roi n’a pas de sujets plus fidèles que les Américains.

— Je le sais parfaitement, mon jeune ami, et c’est ce que j’ai dit au roi de ma propre bouche. Mais n’y pensez plus. Si votre vieil oncle vous a quelquefois montré en sa personne le portrait d’un vrai John Bull, il vous a laissé un titre honorable et un beau domaine. Je veillerai à ce que Greenly vous case quelque part, et vous consentirez, j’espère, à prendre vos repas avec moi. J’espère vous voir un jour à Bowldero. À présent nous monterons sur le pont, et si votre esprit vous rappelle plus distinctement quelque chose de ce que vous a dit Bluewater, ne manquez pas de m’en informer.