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efforts. Mais amurer la grande voile d’un vaisseau de ligne, pendant un coup de vent, ou du moins ce qui y ressemblait beaucoup, c’était une entreprise impossible à vingt hommes, et Daly n’en avait pas, davantage ; sous ses ordres, il fallut donc qu’il eût recours à l’aide de ses ennemis. Sachant un peu le français, et avec l’assistance d’un Irlandais jovial qui connaissait aussi cette langue, il vint bientôt à bout de mettre quarante à cinquante de ses prisonniers d’assez bonne humeur pour qu’ils lui prêtassent leur aide, et la voile fut établie, non sans grand risque de la voir déchirée. À compter de ce moment, la Victoire se trouva en meilleure position au vent qu’aucun des bâtiments anglais, car elle pouvait porter toutes les voiles que le vent permettait, et s’étant débarrassée des débris de sa mâture, elle n’était plus exposée à la même dérive. L’effet en fut visible dès la première heure, à la grande satisfaction de Daly. Au bout de ce temps, il se trouva à une encâblure au vent de la ligne, uniquement parce que, privé de sa mâture, il avait beaucoup moins de dérive. Mais, en rapportant cette circonstance, nous avons un peu anticipé sur les événements.

Greenly, qui était descendu pour surveiller les batteries, qu’on ne pouvait servir sans beaucoup de difficulté par une mer si houleuse, et pour être prêt à ouvrir les sabords de la batterie basse, si l’occasion s’en offrait, reparut sur le pont à l’instant où le commandant en chef faisait faire le signal dont nous venons de parler. La ligne fut bientôt formée, et l’on ne fut pas longtemps sans voir que la prise pouvait aisément se maintenir dans sa position. Comme il avait encore devant lui la plus grande partie de la journée, sir Gervais ne douta pas qu’il ne pût mettre la Victoire en sûreté, avant que la nuit le rendît indispensable.

Le vice-amiral et son capitaine se serrèrent la main cordialement sur la dunette, et le premier parla avec satisfaction du résultat de ses manœuvres hardies.

— Nous avons cassé les ailes à deux de ces oiseaux, mon cher ami, dit-il, nous en tenons un troisième dans notre gibecière, et s’il plaît à Dieu, quand Bluewater nous aura rejoints, nous n’aurons pas beaucoup de difficulté à venir à bout des autres. Je crois qu’aucun de nos bâtiments n’a beaucoup souffert, et je les compte tous comme en état de service. Il y a eu tout le temps de faire un signal, des avaries, mais aucun d’eux n’y paraît disposé. Si nous échappons réellement à ce fléau des évolutions d’un amiral, ce sera la première fois de ma vie.

— Nous pourrions avoir été désemparés d’une demi-douzaine de