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sorti de la ligne de cinquante brasses en un seul tour de roue : le Foudroyant et le Warspite aussi ! jamais on n’a obéi plus ponctuellement à un signal. Si les Français ne prennent pas l’alarme en ce moment, tout ira à notre gré.

Bury commença alors à comprendre la manœuvre qui s’exécutait. Le second, le quatrième et le sixième bâtiment de la ligne anglaise s’avançaient rapidement sous le vent, tandis que les autres continuaient leur route, formant ainsi deux lignes distinctes, l’une au vent et l’autre sous le vent, avec un plus grand intervalle entre les vaisseaux, tandis que tous s’approchaient de l’ennemi avec la même vitesse. Il était alors évident que le Plantagenet devait passer à cent brasses du Scipion dans moins de deux minutes. Le délai qu’on avait mis à donner des ordres pour cette évolution en favorisa le succès, en ne laissant pas à l’ennemi le temps de la réflexion. Dans le fait, le comte de Chelincourt ne s’en aperçut pas, ou, s’il s’en aperçut, il n’en prévit pas les suites, quoique le capitaine de frégate qui le suivait, et qui avait plus d’expérience, eût eu de meilleurs yeux. Mais il était trop tard pour faire un signal à son officier supérieur de se tenir sur ses gardes ; et dans l’état où les choses se trouvaient, il ne restait plus qu’à continuer la route au plus près, et à tout abandonner aux chances d’un combat.

Dans un moment semblable à celui dont il est question, les événements se passent beaucoup plus rapidement qu’on ne peut les décrire. Le Plantagenet était alors à portée de pistolet du Scipion par son bossoir du vent. À l’instant où les canons de l’avant commençaient leur feu de part et d’autre, le Carnatique, qui était alors presque en ligne avec l’ennemi, fit une grande embardée sous le vent, en se rapprochant toujours, et fit feu de ses canons de l’avant. Le Foudroyant et le Warspite imitèrent cette manœuvre, laissant au bâtiment français la perspective peu agréable d’être pris entre deux feux. On ne peut cacher que M. de Chelincourt fut très-contrarié du changement soudain survenu dans sa situation. Ce qui, un moment auparavant, paraissait être un parti chevaleresque, quoique extrêmement dangereux en face d’un ennemi formidable, avait alors l’air d’un acte de témérité qui pouvait entraîner sa perte. Mais il était trop tard pour y remédier, et le jeune comte, à qui la bravoure ne manquait pas, résolut d’affronter hardiment le péril. Il avait à peine eu le temps d’adresser quelques mots d’encouragement, d’un ton dramatique, aux officiers qui étaient avec lui sur le gaillard d’arrière, quand le Plantagenet, arrivant rapidement, lui envoya une bordée, à laquelle le Scipion répondit au même instant, et le vent