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cette évolution afin de parer les bâtiments qui étaient alors accumulés à l’avant-garde, quand le le Téméraire revint au vent, tribord amures, après avoir doublé la ligne, il était à un bon demi-mille sous le vent de l’amiral, qui venait de mettre sa barre au vent. Nécessairement, pour se former de nouveau, le cap des vaisseaux au sud, chaque bâtiment devait se placer dans les eaux de celui qui le précédait, ce qui rejetait toute la ligne française à deux milles sous le vent de l’escadre anglaise. Néanmoins les deux traîneurs à l’arrière des Français continuèrent à serrer le vent avec une opiniâtreté qui annonçait la résolution d’avoir une escarmouche avec l’ennemi en passant.

Ces deux bâtiments étaient le Scipion et la Victoire, chacun de soixante-quatorze canons. Le premier était commandé par un jeune homme ayant fort peu d’expérience dans sa profession, mais beaucoup de crédit à la cour ; l’autre avait pour capitaine un homme qui, comme le vieux Parker, ne devait son avancement qu’à ses services et à ses blessures, et ne l’avait obtenu qu’avec difficulté. Malheureusement, le premier avait le rang en sa faveur, et l’humble capitaine de frégate, chargé par accident du commandement d’un vaisseau de ligne, n’osa abandonner un capitaine de vaisseau qui avait le titre de comte, et dont le frère aîné était duc. Peut-être y avait-il dans l’ardeur qui détermina le jeune comte de Chelincourt à courir le risque de passer si près de six vaisseaux avec deux seulement, une intrépidité qui pouvait jeter un voile sur cette témérité, d’autant plus que son escadre était assez près pour le soutenir dans le cas de quelque désastre ; et il était certainement possible que la perte d’un mât important à bord de l’un de ses ennemis pût occasionner la prise du vaisseau. Dans tous les cas, ce fut ainsi que raisonna M. de Chelincourt, qui continua résolument sa même bordée en serrant le vent, même après que le le Téméraire eut viré vent arrière, et M. comptant le suivit sur la Victoire. Le Téméraire n’étant pas alors à un mille du Scipion, et s’approchant avec une vitesse constante, toutes les probabilités étaient que le bâtiment anglais passerait bientôt à un quart de mille du premier par son travers du vent, et que par conséquent il en résulterait une canonnade beaucoup plus sérieuse que celle qui avait déjà eu lieu. Quelques minutes suffirent à sir Gervais pour jeter un coup d’œil autour de lui et prendre une détermination définitive.

Jamais la flotte anglaise n’avait mieux gardé sa ligne qu’en ce moment. Les bâtiments étaient aussi près les uns des autres qu’ils pouvaient l’être sans danger ; tout le gréement était dans un état parfait, et les voiles portaient comme dans une belle brise des vents alisés.