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droyant fileront comme des jeunes filles dans une contredanse. Faites descendre Bury dans la batterie basse, et qu’on tienne, prêtes ces pièces de dix-huit.

Comme de raison Greenly obéit, et il commença à se faire une meilleure idée de l’audace dans un combat naval, qu’il ne l’avait encore fait de cette journée. C’était l’usage ordinaire de ces deux officiers, l’un raisonnant et se décidant d’après les conseils d’un jugement froid, l’autre suivant ses impulsions autant que ses calculs, jusqu’à ce qu’il arrivât des faits qui prouvassent que le cours des choses humaines dépend autant d’incidents accidentels, résultat de causes éloignées et invisibles, que des plans les mieux dirigés. Dans des moments plus calmes, quand ils venaient à raisonner sur le passé, le vice-amiral s’applaudissait, en général, de ses triomphes, en rappelant au capitaine que s’il n’avait pas été habitué aux faveurs de la fortune, il n’aurait jamais pu en profiter ; ce qui n’est pas une mauvaise croyance pour un officier de marine qui est d’ailleurs prudent et vigilant.

Les aides-timonniers de la flotte piquèrent six coups pour annoncer qu’il était sept heures, quart du matin, quand le Plantagenet, et le Téméraire se trouvèrent par le travers l’un de l’autre. Les deux bâtiments plongeaient lourdement dans le creux des lames, et roulaient majestueusement au vent ; et cependant tous deux glissaient sur cette mer écumante avec une vitesse qui ressemblaient au mouvement imperceptible d’une planète, l’eau ruisselant de leurs flancs et de leurs brillants prélarts de bastingage. Toute la sombre panoplie qui fait reconnaître un bâtiment de guerre étincelait sous le rejaillissement de l’eau. Mais ni l’un ni l’autre ne donnait aucun signe d’hostilité. L’amiral français ne fit aucun signal d’attaque, et sir Gervais avait ses raisons pour désirer de dépasser l’avant-garde de l’ennemi, s’il était possible, sans en venir à une action. Les minutes se passaient dans un profond silence à bord du Plantagenet et du Carnatique, qui n’était alors qu’à une demi-encâblure en arrière du vaisseau amiral. Tous ceux dont la vue trouvait une issue avaient les yeux fixés sur les sabords de la batterie basse du Téméraire, dans l’attente de voir le feu jaillir de ses canons. Cependant chaque instant en diminuait les chances en ce qui concernait le bâtiment, dont il fut bientôt éloigné au-delà de la portée de son feu. La même scène se renouvela avec le Conquérant, second bâtiment de la ligne française, et elle eut le même résultat. Sir Gervais sourit quand eut dépassé les trois premiers sans qu’on parût faire attention à lui ; mais, en s’approchant du vaisseau amiral, il sentit qu’il ne le ferait pas impunément.