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prodigieux pour soulever le poids de son corps jusqu’à une telle hauteur à l’aide d’un cordage si mince. Si c’eût été un cordage un peu plus gros, l’entreprise n’eût pas offert une grande difficulté à un jeune marin agile et vigoureux, d’autant plus qu’il pouvait s’aider un peu des pieds, en les appuyant sur le rocher ; mais dans la situation où il était, il lui semblait qu’il avait à traîner une montagne après lui. Enfin sa tête parut à quelques pouces au-dessus des rochers ; mais ses pieds étaient appuyés contre leur paroi, à un angle de quarante-cinq degrés.

— Aidez-le, mon père, aidez-le ! s’écria Mildred, couvrant ses yeux de ses deux mains, pour ne pas voir le péril que courait Wychecombe. — S’il retombe à présent, il est perdu. — Sauvez-le, sir Wycherly, sauvez-le !

Mais aucun de ceux dont elle implorait les secours n’était en état d’en donner au malheureux jeune homme. Tout le corps de Dutton était agité par un tremblement nerveux, et l’âge et l’expérience du baronnet l’en rendaient incapable.

— N’avez-vous pas une corde, monsieur Dutton ? dit Wychecombe, l’épuisement de ses forces l’obligeant à suspendre ses efforts, mais se maintenant à la hauteur qu’il avait gagnée, la tête penchée en arrière sur l’abîme, et le visage tourné vers le ciel. — Jetez une corde par-dessus mes épaules, et tâchez de me tirer sur le plateau.

Dutton en montrait le plus grand désir, mais ses mains tremblaient au point qu’il était douteux qu’il pût lui rendre ce service, et, sans sa fille il est probable qu’il n’aurait su ce qu’il pouvait faire. — Accoutumée au maniement des drisses de signaux, Mildred courut chercher une de ces vieilles drisses, et la mit entre les mains de son père, qui montra, à la manière dont il s’en servit, qu’il n’avait pas oublié son ancienne profession. Après l’avoir pliée en quatre, il en jeta le double par-dessus les épaules du jeune marin, et, aidé par Mildred, il s’efforça de le tirer sur le plateau. Mais leurs forces réunies n’y purent suffire, et Wychecombe épuisé n’était plus en état de faire le moindre effort. Ses jambes engourdies ne pouvaient plus soutenir ses pieds contre le rocher ; il sentit que les bras allaient lui manquer ; et il ne vit d’autre ressource que de se laisser glisser doucement jusque sur le rebord de rocher qu’il venait de quitter. Dès qu’il s’y retrouva, il fut obligé de s’asseoir pour se reposer et reprendre des forces. Mildred chercha étouffer un cri qui lui échappa quand elle vit sa tête disparaître ; mais elle était tellement saisie d’horreur, qu’elle ne put se résoudre à faire un pas en avant pour s’assurer de son destin.