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sire le voir dès qu’il aura reçu tous les rapports de ses officiers.

Jusqu’au moment où le premier coup de tambour se fit entendre, le Plantagenet avait offert une scène étrange de tranquillité et d’insouciance, vu les circonstances dans lesquelles ce vaisseau se trouvait. À moins d’être marin, personne n’aurait cru que des hommes pussent être si près de leurs ennemis, et montrer tant d’indifférence pour leur voisinage ; mais c’était le résultat d’une longue habitude, et d’une sorte d’instinct qui apprend au marin quand l’affaire dont il s’agit est sérieuse ou non. La différence de force des deux escadres, la violence du vent, la position au vent des Français, tout concourait à persuader à l’équipage que rien de décisif ne pouvait avoir lieu. On pouvait voir çà et là un officier ou un vieux matelot regarder par un sabord pour reconnaître la force et la position des Français ; mais au total leur escadre n’excitait pas plus d’attention que si elle eût été à l’ancre dans la rade de Cherbourg. L’heure du déjeuner approchait, et cet événement absorbait le principal intérêt du moment. Les mousses chargés du service des officiers commencèrent à se montrer dans les environs de la cuisine avec leurs pots et leurs plats ; l’un d’eux de temps en temps jetait un regard insouciant par l’ouverture la plus voisine pour voir quelle mine avaient les étrangers ; mais quant à un combat, il y avait plus d’apparence qu’il y en aurait un entre les protecteurs des droits des différentes tables, qu’entre ces deux grandes escadres belligérantes.

L’état des choses ne différait pas matériellement dans la grande chambre, au poste des midshipmen et à celui des officiers subalternes. La plupart des hommes de l’équipage, à bord d’un bâtiment à deux ponts, sont logés dans la batterie basse, et l’ordre de faire branle-bas est plus nécessaire dans un vaisseau de cette espèce, avant d’appeler chacun à son poste, que dans un navire de moindres dimensions, quoiqu’il soit d’usage dans tous les cas. Aussi longtemps que les sacs, les coffres et autres objets du même genre restèrent à leur place ordinaire, les matelots qui s’y trouvaient ne voyaient guère de raison pour se déranger, et comme ils apprenaient de temps en temps des nouvelles de l’approche de l’ennemi, et surtout qu’ils savaient qu’il était sous le vent, un très-petit nombre de ceux que leur devoir n’appelait pas en haut s’inquiétaient de cette affaire. Cette habitude de considérer sa fortune comme attachée à celle de son bâtiment, et de ne voir en soi qu’un point dans sa masse, comme nous nous regardons nous-mêmes comme des particules de l’orbe dont nous accompagnons les révolutions, est assez générale parmi les marins ; mais elle l’était surtout parmi les matelots d’une escadre qui