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pour défier les ennemis. À côté du premier étaient Greenly, Bunting et Bury, premier lieutenant du Plantagenet ; l’autre avait près de lui son capitaine de pavillon, homme qui ressemblait aussi peu aux caricatures des officiers français de ce rang, mises si souvent par les écrivains anglais sous les yeux de leurs lecteurs, que Washington était différent de l’homme que les journaux anglais présentaient à la haine publique, au commencement de la grande guerre d’Amérique. M. de Vervillin lui-même était un homme d’une naissance respectable, ayant reçu une bonne éducation, et possédant une théorie parfaite de tout ce qui concernait la marine en général, des quotités que devaient avoir les bâtiments, et des principes d’après lesquels on devait les gouverner. Là se bornait son excellence dans sa profession. Cette infinité de détails qui composent le mérite distinctif du marin pratique lui étaient en grande partie inconnus ; d’où il résultait qu’il était obligé de réfléchir dans les moments d’urgence, moments où le vrai marin semble agir plutôt par instinct que par une suite réfléchie de raisonnements. Cependant avec son escadre rangée sous ses yeux, et n’ayant rien qui exigeât des ressources extraordinaires d’imagination ce brave officier était pour l’escadre anglaise un ennemi très-formidable.

Sir Gervais Oakes perdit toute son impatience naturelle et nerveuse quand les deux escadres commencèrent sensiblement à se rapprocher. Comme cela n’est pas rare dans les hommes braves et ardents, à mesure que la crise devenait plus prochaine, il devint plus calme, et reprit un empire plus complet sur lui-même, voyant toutes choses sous leurs véritables couleurs, et se trouvant de plus en plus en état d’en maîtriser le cours. Il continua à se promener sur la dunette, mais c’était d’un pas plus lent ; ses mains étaient encore croisées derrière son dos, mais ses doigts étaient immobiles ; sa physionomie était grave et son œil pensif. Greenly savait que toute intervention de sa part serait alors hasardeuse ; car toutes les fois que les traits du vice-amiral prenaient cette expression, il devenait à la lettre commandant en chef, et toute tentative pour lui faire des observations ou pour exercer sur lui quelque influence, à moins qu’elle ne fût appuyée sur la communication de nouveaux faits, ne servait qu’à attirer son ressentiment. Bunting savait aussi qu’en ce moment — l’amiral était à bord ; — expression que les officiers, employaient entre eux pour désigner cette situation d’esprit de leur commandant en chef, et il se préparait à remplir ses fonctions en silence et avec toute la promptitude qui serait en son pouvoir. Tous ceux qui étaient présents éprouvaient plus ou moins cette influence d’un caractère bien établi.