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il n’y avait aucun indice d’un changement de temps. La brise conservait toute sa force, et le ciel continuait à s’abstenir de mêler ses eaux à celles de la mer. L’escadre était alors par le fait au sud du cap de la Hogue, quoiqu’elle en fût loin à l’ouest, et précisément à l’endroit où la Manche reçoit les vents et les eaux du vaste océan Atlantique, dont les flots s’avançaient en longues lames régulières, quoique un peu dérangées par l’influence des courants. Des vaisseaux tels que les deux-ponts faisaient route avec un bruit semblable à des gémissements, leurs cloisons et toute leur membrure se plaignant, comme nous le disons, nous autres marins, tandis que ces masses énormes, chargées d’une lourde artillerie, s’élevaient ou s’abaissaient, suivant que les vagues arrivaient ou se retiraient. Mais leurs mouvements étaient majestueux et imposants, tandis que le cutter, le sloop et même la frégate semblaient soulevés comme une légère écume, et à la merci des éléments. La Chloé passait devant l’amiral, à contre-bord, à plus d’un mille sous le vent, et pourtant, quand elle était sur le sommet d’une lame, on voyait souvent son taille-mer presque jusqu’à la quille. Telles sont les épreuves auxquelles la force d’un bâtiment est soumise, car si un navire était toujours également porté sur l’eau sur tous ses points, il ne serait pas nécessaire d’en faire une masse si compacte de bois et de fer.

Les deux flottes faisaient à peu près des progrès semblables dans leur route, luttant contre les vagues pour faire environ une lieue marine par heure. Comme aucun navire ne portait de voiles hautes, et qu’on n’avait vu les bâtiments qu’au milieu de la brume et avec un ciel couvert, les deux escadres n’étaient devenues visibles l’une à l’autre que lorsqu’elles avaient été plus rapprochées. Au moment où nous sommes arrivés, les deux bâtiments qui étaient en tête de chaque ligne n’étaient séparés que par un espace qui ne pouvait excéder deux milles, n’estimant la distance que d’après leur ordre de marche en ligne, quoiqu’on vît qu’ils seraient encore séparés à peu près par le même intervalle quand ils se trouveraient par le travers l’un de l’autre, tant les Anglais étaient au vent de leurs ennemis. Quiconque connaît tant soit peu les manœuvres navales comprendra que, d’après ces circonstances, l’avant-garde française et l’arrière-garde des Anglais devaient se rapprocher beaucoup plus en passant l’une devant l’autre, les deux flottes serrant le vent le plus possible.

Comme de raison, sir Gervais Oakes surveillait avec une attention infatigable la marche des deux lignes ; et M. de Vervillin en faisait autant de dessus la dunette de l’Éclair, noble vaisseau de quatre-vingts canons, sur lequel flottait son pavillon de vice-amiral, comme