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bord du troisième vaisseau après lui dans l’action où il périt. Bluewater était sur son matelot d’avant, et nous l’aimions tous deux comme un frère aîné. Vous n’étiez pas officier alors ?

— Je n’étais encore que midshipman, et je n’étais pas en cette occasion sur le vaisseau de mon père, répondit Greenly, évidemment touché du tribut payé par le vice-amiral au mérite d’un père qu’il avait tendrement aimé ; mais j’étais assez âgé pour me rappeler comme vous vous comportâtes bravement tous deux dans cette affaire. Eh bien ! ajouta-t-il en passant une main sur ses yeux, le latin peut être utile à un maître d’école, mais il ne sert pas à grand’chose à bord d’un bâtiment. Parmi mes camarades et mes amis intimes, je n’en ai jamais connu qu’un seul qui fût un savant en latin.

— Et qui était-il, Greenly ? Toutes les connaissances sont utiles, et il ne faut pas en mépriser une parce que vous ne la possédez pas. J’ose dire que votre ami n’en valait pas moins pour savoir le latin. Il en savait sans doute assez pour décliner nullus, nulla, nullum, par exemple. Et quel était le nom de ce phénix, Greenly ?

— John Bluewater, le beau John, comme on l’appelait, le frère cadet du contre-amiral. Il servait dans les gardes, mais on l’avait envoyé sur mer pour le tenir à l’écart, à cause de quelque affaire d’amour. Pendant qu’il était avec l’amiral, ou pour mieux dire avec le capitaine Bluewater, car il n’avait alors que ce grade, j’étais un des lieutenants du même vaisseau. Quoique le pauvre John fût mon aîné de quatre à cinq ans, il se prit d’amitié pour moi et nous devînmes intimes. Il entendait le latin mieux que ses intérêts.

— Quelle raison vous le fait croire ? Bluewater ne m’a jamais beaucoup parlé de ce frère.

— Il y eut un mariage clandestin, des tuteurs mécontents, et il s’ensuivit toutes les difficultés ordinaires en pareil cas. Au milieu de tous ces embarras, le pauvre John fut tué dans une bataille ; comme vous le savez probablement, et sa veuve le suivit au tombeau une couple de mois après. Toute cette histoire est fort triste, et je cherche à y penser le moins possible.

— Un mariage clandestin ! répéta sir Gervais d’un air pensif. Je ne crois pas que l’amiral Bluewater soit instruit de cette circonstance ; je ne l’ai jamais entendu y faire allusion. En êtes-vous bien sûr ?

— Personne ne peut le savoir mieux que moi, car je l’ai aidé à enlever la jeune personne, et j’étais présent à la cérémonie du mariage.

— Et quelque enfant naquit-il de cette union ?

— Je ne le crois pas, quoique le colonel ait survécu plus d’un an à ce mariage. Je ne saurais dire si le contre-amiral est instruit ou non