Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vent. Comme de raison, il n’y avait plus de communication possible entre le Plantagenet et les derniers bâtiments de l’escadre, si ce n’est par le moyen de signaux transmis d’un vaisseau à l’autre le long de la ligne ; mais sir Gervais ne s’en inquiétait pas, car il était convaincu que Bluewater comprenait tous ses plans, et il n’avait pas le moindre doute de la bonne volonté que mettrait son ami à coopérer à leur exécution.

Au surplus, ceux qui se trouvaient à bord du Plantagenet se mettaient peu en peine de ce qui se passait. Ils voyaient les bâtiments se suivre l’un l’autre à la distance convenue aussi loin que la vue pouvait atteindre, mais le grand intérêt se concentrait au sud et à l’est, points où ils s’attendaient à voir paraître les Français ; car la cause d’un départ si subit n’était plus un secret pour personne dans l’escadre. Une douzaine des meilleurs marins du vaisseau furent placés en vigie au haut des mâts toute la soirée, et le capitaine Greenly resta assis pendant plus d’une heure, ayant une longue-vue en main, sur les barres du petit perroquet, à l’instant où le soleil allait se coucher, afin de pouvoir examiner l’horizon. Il est vrai qu’on aperçut deux ou trois voiles, mais c’étaient des bâtiments côtiers anglais, ou des bâtiments de Guernesey ou de Jersey, voguant vers quelque port de l’ouest de l’Angleterre, et probablement ayant pour cargaison des marchandises prohibées venant du pays ennemi. Un Anglais a beau voir de mauvais œil un Français, il n’a certainement aucune aversion pour les ouvrages de ses mains, et depuis que la civilisation a introduit l’art de la contrebande parmi ses autres perfectionnements, il n’y a probablement jamais eu une époque où les eaux-de-vie, les dentelles et les soieries de France n’aient pas été échangées en contrebande contre les tabacs et les guinées de l’Angleterre, soit en temps de paix, soit durant la guerre. Un des traits caractéristiques de sir Gervais Oakes était de mépriser tous les petits moyens vulgaires de nuire à l’ennemi ; il dédaignait même de se détourner de sa route pour donner la chasse à un contrebandier. Jamais il ne molestait un bâtiment pêcheur. En un mot, il faisait la guerre sur mer, il y a un siècle d’une manière que quelques-uns de ses successeurs auraient pu imiter avec avantage, même de notre temps. Comme ce magnanime Irlandais, Caldwell[1], qui dirigea un blocus sur le Chesapeake, au commencement de la révolution américaine, avec tant de libéralité, que ses ennemis lui envoyèrent une

  1. L’auteur croit que ce magnanime marin était feu l’amiral sir Benjamin Caldwell. Il est à peine nécessaire de dire que cette invitation ne pouvait être acceptée, quoiqu’elle eût été faite très-sérieusement.