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m’a dit que le prince a montré une grande satisfaction en apprenant combien il pouvait être en votre pouvoir de le servir.

— Croyez-vous donc que mon nom soit arrivé jusqu’à son oreille royale, et que le prince connaisse mes sentiments véritables ?

— Rien que votre extrême modestie, mon cher amiral, ne peut vous en faire douter. D’ailleurs, demandez-vous à vous-même comment il se fait que je sois venu vous trouver ce soir, le cœur sur la main, en quelque sorte, et vous rendant maître de ma vie et de mon secret. L’amour et la haine sont deux sentiments qui ne tardent pas à se trahir.

C’est une vérité historique que des hommes doués des principes les plus nobles, et de la plus grande force d’esprit, ont cédé aux flatteries partant d’un rang élevé. Les opinions politiques de Bluewater l’avaient rendu insensible aux caresses de la cour de Londres ; mais son imagination, sa déférence chevaleresque pour l’antiquité et pour des droits poétiques, qui étaient la base de son jacobitisme, et la compassion que lui inspirait toujours le sort de la famille exilée, ne le disposaient que trop à devenir la dupe d’un langage semblable. S’il eût été plus homme de faits, et moins sous l’influence de son imagination ; s’il avait eu la bonne fortune de voir de plus près ceux qu’il adorait presque du moins dans un sens politique, leur pouvoir sur un esprit aussi juste et aussi clairvoyant que le sien aurait bientôt cessé d’exister. Mais comme il passait tout son temps sur mer, ils avaient le meilleur auxiliaire possible dans la faculté qu’il possédait de se figurer que les choses étaient ce qu’il désirait qu’elles fussent. Il n’était donc pas étonnant qu’il entendît cette fausse assertion de sir Reginald avec une émotion de joie, et même avec un tressaillement de cœur, tel qu’il n’en avait pas éprouvé depuis longtemps. Ses sentiments plus louables furent quelque temps étouffés par cette sensation nouvelle et traîtresse.

Ils arrivaient en ce moment sur le rivage, et il devint nécessaire qu’ils se séparassent. Ce n’était pas sans peine qu’on empêchait, à l’aide des avirons et des gaffes, la barge de l’amiral de s’élancer sur le rocher ; et chaque instant rendait l’embarquement plus difficile. Les moments étaient précieux pour plus d’une raison, et les adieux furent courts. Sir Reginald ne lui dit que quelques mots, mais il donna toute l’expression nécessaire à la manière dont il lui serra la main.

— Dieu soit avec vous, amiral, lui dit-il, et qu’il vous accorde des succès proportionnés votre fidélité ! — N’oubliez pas ! — un prince légitime — des droits consacrés par la naissance. — Dieu soit avec vous !