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dans les airs, voilaient la lune et n’en laissaient apercevoir la lumière que par instants et d’une manière indistincte, ce qui donnait à toute cette scène un caractère sombre et presque sauvage. Il n’est donc pas très-étonnant que Bluewater, quand le baronnet s’approcha, se soit senti plus disposé qu’il ne l’avait jamais été à prêter l’oreille aux discours du tentateur ; car, dans les circonstances du moment, ce n’est pas excéder les bornes de la justice que de donner ce nom à sir Reginald.

— En vous cherchant dans un tel endroit et au milieu de ce paysage agreste, dit le baronnet, je pouvais être sûr d’y trouver un homme qui aime réellement la mer et sa noble profession. Wychecombe-Hall est en ce moment un séjour mélancolique. Quand je vous ai demandé, personne n’a pu me dire de quel côté vous étiez allé. Il paraît que j’ai bien fait de suivre ce qu’on peut appeler l’instinct d’un marin. Mes yeux me trompent-ils, ou n’y a-t-il plus là-bas que trois vaisseaux à l’ancre ?

— Vos yeux sont encore bons, sir Reginald. Il y a déjà plusieurs heures que l’amiral Oakes est parti, et toute la flotte l’a suivi, à l’exception des deux vaisseaux de ligne que vous voyez et d’une frégate. C’est moi qui dois quitter le dernier ce mouillage.

— Est-ce un secret d’état, ou vous est-il permis de dire pour quel point une force si imposante a mis à la voile si soudainement ? demanda le baronnet, ses yeux noirs et perçants fixés sur ceux du contre-amiral de manière à lui donner, au milieu de l’obscurité croissante, l’air d’un inquisiteur. On m’avait dit que la flotte attendrait des ordres de Londres ?

— Tel était le premier dessein du commandant en chef ; mais ayant appris que le comte de Vervillin a mis en mer, sir Gervais a changé d’avis. Un amiral anglais commet rarement une erreur quand il cherche et qu’il bat un ennemi actif et dangereux.

— Cela est-il toujours vrai, amiral Bluewater ? répondit sir Reginald, se promenant à côté de son compagnon sur un endroit que Dutton avait coutume de nommer son gaillard d’arrière, ou n’est-ce qu’une généralité insignifiante qui rend souvent les hommes dupes de leur propre imagination ? Ceux qui peuvent paraître nos ennemis le sont-ils toujours, ou sommes-nous assez infaillibles pour devoir attribuer tous nos sentiments ou tous nos préjugés à une impulsion à laquelle nous devions céder sans examiner si elle est juste ?

— Croyez-vous que ce soit un préjugé de regarder la France comme l’ennemie naturelle de l’Angleterre, sir Reginald ?

— Oui, de par le ciel, Monsieur. Je crois même que l’Angleterre