Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans un ouragan. Je ne crois pas mériter tout à fait cette imputation, mais je conviens qu’il y a une sorte de jouissance à jouer en quelque sorte un rôle dans la lutte terrible des éléments. Il me semble que je change de nature en de pareils instants, et j’oublie tout ce qu’il y a de doux et de paisible dans le monde. Cela vient de ce que j’ai vécu si longtemps étranger à votre sexe, misérable célibataire que je suis.

— Croyez-vous que les marins doivent se marier ? demanda Mildred avec un sérieux qui la surprit elle-même, et elle ne put s’empêcher de rougir en faisant cette question.

— Je serais bien fâché de condamner toute une profession, et une profession que j’aime tant, à la vie misérable de célibataire. Il y a une espèce de misère qui est particulière aux soldats et aux marins mariés ; mais n’y en a-t-il pas d’autres pour les époux qui ne se séparent jamais ? J’ai entendu des marins, des hommes qui aimaient leurs femmes et leurs enfants, dire qu’ils croyaient que l’espoir de les revoir après une longue séparation, après avoir longtemps désiré le moment de cette réunion, avait rempli leurs années de service actif de sensations plus agréables qu’ils n’en avaient jamais éprouvé pendant les périodes stagnantes de paix. N’ayant jamais été marié moi-même, je ne puis en parler que par ouï-dire.

— Ah ! cela peut être vrai des hommes ; mais sûrement — sûrement — les femmes ne peuvent jamais penser ainsi.

— Je suppose que vous, qui êtes la fille d’un marin, vous savez ce que dit le matelot du credo domestique de sa femme ; un bon feu, un foyer propre, des enfants dans leur lit et le mari sur mer. — C’est ce qui est supposé pour elle le comble de la félicité.

— Tout cela peut être une bonne plaisanterie à bord d’un bâtiment, amiral Bluewater, répondit Mildred en souriant ; mais ce n’est pas une plaisanterie qui peut guérir un cœur brisé. D’après tout ce que j’ai entendu dire ce matin, et le départ soudain de l’escadre, je crains que nous ne soyons à la veille d’une grande bataille.

— Et pourquoi vous, fille d’un officier anglais, craindriez-vous un événement semblable ? Avez vous assez peu de confiance en nous pour supposer qu’une bataille sera nécessairement suivie d’une défaite ? J’ai vu plus d’un combat depuis que je suis au service, miss Dutton et je me flatte d’être un peu au-dessus des rodomontades de ceux qui ne songent qu’à se vanter ; mais il m’est permis de dire que nous n’avons pas coutume de rencontrer l’ennemi sur mer, et de donner à ceux qui sont à terre lieu de rougir du pavillon anglais. Je n’ai pas encore rencontré un Français qui ne manifestât le noble