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mais l’un est marin, et l’autre avait toujours vécu sur terre ; et les préjugés de ma profession font peut-être qu’il n’y a pas une aussi grande différence, entre eux à mes yeux qu’aux vôtres.

Bluewater crut voir quelque chose de suppliant dans le regard que miss Dutton jeta sur lui, et il se repentit d’avoir pris de pareils moyens pour la distraire de sa mélancolie. Mildred s’aperçut peut-être de ce regret, car elle rallia ses forces, et fit un effort qui réussit en partie pour donner à la conversation une tournure plus agréable.

— Mon père croit, Monsieur, que le beau temps que nous avons eu depuis quelques jours va nous abandonner, et qu’il est probable que nous aurons un grand vent d’ici à trente-six heures.

— Je crains que M. Dutton ne soit un très-bon almanach. Le temps paraît menacer, et je m’attends à une mauvaise nuit. Bonne ou mauvaise, il faut que nous y fassions face, nous autres marins, et cela dans un canal étroit, où les coups de vent ne sont pas des zéphirs d’Arabie.

— Ah ! Monsieur, quelle vie terrible ! En demeurant sur ce promontoire, j’ai appris à avoir pitié des marins.

— Vous avez peut-être pitié de nous, mon enfant, quand nous sommes le plus heureux. Neuf marins, sur dix, préfèrent un ouragan respectable à un calme plat. Il y a des moments où l’Océan est effrayant ; mais, au total, il est plus capricieux que méchant. La nuit prochaine promet d’en être une telle que sir Gervais Oakes les aime. Il n’est jamais plus heureux que lorsqu’il entend le vent siffler à travers les cordages de son vaisseau.

— J’ai entendu parler de lui comme d’un commandant très-hardi, et comptant beaucoup sur lui-même. Mais vous, amiral Bluewater, vous ne pouvez avoir le même caractère ; car vous me semblez plutôt fait pour le foyer domestique et pour y rester entouré d’amis et de parents, que pour vivre au milieu des combats et des dangers de la mer.

Mildred n’eut pas besoin alors de faire un effort pour sourire, et elle le fit avec tant de douceur, que le vétéran fut presque tenté de se lever pour la serrer entre ses bras, comme un père presserait une fille chérie contre son cœur. Mais une sage réserve l’empêcha de se livrer à un sentiment qui, tout paternel qu’il était, aurait pu être mal interprété.

— Je crains de n’être qu’un loup couvert de la peau d’un mouton, dit-il car tandis qu’Oakes admet le bonheur qu’il éprouve quand son bâtiment a à lutter contre les vagues soulevées de l’Océan pendant la nuit la plus noire, il m’accuse de trouver mon plus grand plaisir