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un ris dans la grande voile, la misaine et le grand perroquet. Sous cette voilure réduite, il fit route à la suite de son matelot de l’avant, comme on appelle le bâtiment qui précède, la mer écumant sous sa proue, et donnant une bande qui indiquait la force du vent. Pendant ce temps, l’York avait levé l’ancre, et la marée avait changé, ce qui le mit dans la nécessité d’abattre sur l’autre bord pour parer la terre à l’est. Cela modifia l’ordre de marche. Mais revenons aux événements qui furent visibles du rivage, afin de les rapporter dans un ordre plus régulier.

Il est presque inutile de dire que Bluewater passa plusieurs heures sur les rochers pour voir le départ d’une si grande partie des bâtiments. Au lieu de retourner à Wychecombe-Hall pour l’heure du dîner, comme il l’avait promis à sir Reginald, il songeait à lui envoyer un message pour le prier de l’excuser, quand il vit Wycherly sortir de la maison de Dutton d’un air animé et agité. Il profita de cette occasion pour le prier de se charger de ses excuses, ajoutant que le changement survenu dans le temps lui faisait un devoir de ne pas quitter le bord de la mer. Dutton l’avait entendu, et après une conférence privée avec sa femme, il avait pris sur lui d’inviter son officier supérieur à satisfaire son appétit sous son humble toit. Bluewater accepta très-volontiers cette invitation, et quand on vint l’avertir que le dîner était servi, il vit avec plaisir, en entrant dans la salle à manger, qu’il n’aurait d’autre compagnie à table que Mildred qui, de même que lui, mais pour quelque raison cachée dans son cœur, avait laissé passer l’heure ordinaire du dîner sans songer à se mettre à table, et que sa mère avait jugé devoir avoir besoin en ce moment de prendre quelque nourriture.

— Les événements qui viennent de se passer, Monsieur, dit mistress Dutton, ont cruellement agité cette pauvre enfant, et elle n’a rien pris depuis ce matin. Je lui ai dit que vous ne trouveriez pas mauvais qu’elle se mît à table avec vous, et que vous recevriez ses services et ses attentions comme une excuse de sa compagnie.

Bluewater jeta un coup d’œil sur les traits pâles de miss Dutton, et jamais sa ressemblance avec Agnès Hedworth ne lui avait paru si frappante qu’en ce moment. Les deux dernières années de la vie de sa cousine n’avaient pas été heureuses, et l’air mélancolique et les yeux humides de Mildred firent renaître en lui, d’une manière aussi vive que pénible, les souvenirs de son ancienne amie.

— Juste ciel ! pensa-t-il, faudra-t-il que deux êtres semblables n’aient existé que pour souffrir ! — Ma bonne mistress Dutton, dit-il ensuite, ne cherchez pas d’excuse, et soyez bien sûre que vous