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et vous, le serre-file, de l’escadre. Vous connaissez mon plan, et vous le ferez exécuter comme vous le faites toujours en face de l’ennemi.

L’amiral Bluewater sourit, et ce sourire avait même quelque chose d’ironique.

— La nature ne vous a pas fait pour être un conspirateur, Oakes, dit-il, car vous portez dans votre cœur un fanal de hune que les aveugles mêmes pourraient voir.

— Quelle lubie vous passe par l’esprit, Dick ? Mes ordres ne vous paraissent-ils pas suffisamment clairs ?

— Aussi clairs que vos motifs pour me les donner, Gervais.

— Expliquez-vous sur-le-champ : je préfère une bordée à un feu de file. Quels sont mes motifs ?

— Les voici. Sir Jarvy, — comme nos matelots vous appellent sur la flotte, — dit à un certain sir Gervais Oakes, baronnet, membre représentant le bourg de Bowldero au parlement, et vice-amiral de l’escadre rouge : Si je puis laisser ce drôle de Dick Bluewater derrière moi avec quatre ou cinq bâtiments, il ne m’abandonnera jamais quand je serai en face de l’ennemi, quoi qu’il puisse penser du roi George. Ainsi je m’assure de lui en plaçant l’affaire sous un tel jour que ce soit une question d’amitié plutôt que de loyauté.

Sir Gervais rougit jusqu’aux tempes, car son ami avait pénétré dans ses plus secrètes pensées ; mais, malgré ce moment de dépit, il fit face à son accusateur, et, leurs yeux se rencontrant, ils se mirent à rire d’aussi bon cœur que la circonstance le permettait.

— Écoutez-moi, Dick, dit le vice-amiral dès qu’il eut repris assez de gravité pour parler ; on a fait une méprise en vous envoyant sur mer. On aurait dû vous placer apprenti chez un sorcier. Au surplus, peu m’importe ce que vous en pensez mes ordres sont donnés, et il faut qu’ils s’exécutent. Avez-vous une idée claire de mon plan ?

— Aussi claire, vous dis-je, que de ses motifs.

— Plus de pareilles folies, Bluewater ; nous avons à nous occuper de devoirs très-sérieux.

Sir Gervais expliqua alors plus au long tout son projet à son ami, et l’informa avec les détails les plus minutieux de ses désirs, de ses espérances et de ce qu’il attendait de lui. Le contre-amiral l’écouta avec le respect auquel il était accoutumé quand il s’agissait de discuter une question importante, et si quelqu’un fût entré pendant qu’ils étaient ainsi occupés, il n’aurait vu dans les manières de l’un que la dignité franche d’un commandant en chef, et dans celles de l’autre que la déférence que l’officier de marine a toujours pour