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les Américains étaient méprisés en Angleterre, et qu’on y parlait des colons comme d’une race d’êtres inférieurs, dégénérés quant à la taille, à l’intelligence et au courage, et ne ressemblant plus en rien aux habitants de la mère-patrie. J’étais trop fier pour avouer une parenté qui ne paraissait pas désirée. Quand je fus blessé, et que je m’attendais à mourir, on me mit à terre ici, d’après ma propre demande, et j’avais l’intention de me faire connaître à ma famille ; mais y ayant éprouvé les soins compatissants de deux anges, — et en ce moment le jeune lieutenant jeta un regard sur Mildred et sa mère, — je sentis moins le besoin de parents. Je respectais sir Wycherly ; mais il était trop évident qu’il regardait les Américains comme fort au-dessous de lui, pour qu’il me restât le moindre désir de lui apprendre que j’étais petit-fils de son frère.

— Je crains que ce reproche ne nous soit adressé que trop justement, sir Gervais, dit sir Reginald d’un air pensif. Nous paraissons croire qu’il y a dans l’air de l’Angleterre proprement dite quelque chose qui nous élève au-dessus du niveau des autres. Si une prétention quelconque arrive ici de l’autre côté de l’eau, nous la regardons comme étrange et inadmissible. Puisque les princes mêmes ne sont pas exempts de ce destin, il faut bien que des individus placés dans un rang plus humble s’y soumettent.

— Je comprends le sentiment qui a fait agir ce brave jeune homme, et je pense qu’il est honorable pour lui. Amiral Bluewater, vous et moi nous avons eu souvent occasion de réprimer cet esprit d’orgueil de nos jeunes officiers et vous conviendrez avec moi que notre jeune lieutenant a agi très-naturellement en se conduisant comme il l’a fait.

— Je suis parfaitement d’accord avec vous sur ce point, sir Gervais ; et en homme qui a beaucoup vu les colonies et qui commence à ne plus être jeune, je hasarderai de prédire que les suites de ce sentiment injuste retomberont tôt ou tard sur l’Angleterre, en forme de juste châtiment.

— Je ne vais pas aussi loin que cela, Dick, non, je ne vais pas aussi loin. Mais c’est un sentiment qui n’est ni juste ni sage, et nous qui connaissons les deux hémisphères, nous devons en déclarer l’absurdité. Nous avons déjà parmi nous quelques braves qui viennent de cette partie du monde, et j’espère vivre assez longtemps pour en voir davantage.

Qu’on se souvienne que le vice-amiral Oakes parlait ainsi avant que les Hallowell, les Coffin et les Brenton de notre temps se fussent enrôlés dans un service qui, depuis cette époque, est devenu étranger