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aura montré du mépris pour l’une ou l’autre de ces deux contrées.

— Vous vous oubliez, jeune homme, et vous ne songez pas à l’avenir : une couple de centaines de livres, gagnées au prix de votre sang, pour votre part de prise à l’affaire de Groix, ne dureront pas toujours.

— Il ne m’en reste déjà plus rien, amiral ; car j’en ai envoyé jusqu’au dernier schelling à la veuve de notre maître d’équipage qui avait été tué à mon côté. Quoique je ne sois qu’un Américain, sir Gervais, je ne suis pas un mendiant. Je suis propriétaire d’une plantation dont le revenu est plus que suffisant pour tous mes besoins ; et si je sers dans la marine, c’est par goût, et non par nécessité. Si sir Wycherly en était informé, peut-être consentirait-il à ne point parler de moi dans son testament. Je l’honore et je le respecte ; je voudrais pouvoir adoucir les souffrances de corps et d’esprit qu’il éprouve ; mais je ne puis consentir à recevoir de l’argent d’un homme dont l’opinion à l’égard de mon pays est humiliante pour moi.

Il prononça ces mots avec modestie, mais d’un ton de chaleur et de vérité qui annonçait qu’il n’avait rien dit qu’il ne pensât. Sir Gervais avait trop de respect pour les sentiments du jeune homme pour insister plus longtemps. Sir Wycherly avait entendu et compris tout ce qu’on venait de dire, et même dans l’état où il se trouvait il en avait été vivement ému. Le vieillard avait toujours été bon et compatissant, il n’aurait pas voulu faire du mal à une mouche ; tous ses sentiments naturels reprirent l’ascendant sur lui en ce moment, et il aurait donné jusqu’au dernier schelling de la somme dont il lui restait encore à disposer dans les fonds publics, pour pouvoir exprimer convenablement son regret d’avoir jamais prononcé une syllabe qui eût pu blesser la sensibilité d’un jeune homme si noble et si généreux. Étant hors d’état de faire cet effort, il fit du moins tout ce que lui permettait la malheureuse situation dans laquelle il se trouvait.

— Noble jeune homme, murmura-t-il, honneur pour notre nom. venez ici. — Sir Gervais, amenez-le.

— Sir Wycherly paraît désirer que vous vous approchiez de lui, monsieur Wychecombe de Virginie, dit le vice-amiral d’un ton un peu caustique, mais en souriant et en lui serrant la main, tandis qu’il passait devant lui pour s’avancer vers le lit.

Le malade réussit avec beaucoup de peine à ôter d’un de ses doigts un anneau d’or surmonté d’un cachet gravé sur une pierre fine, et qui portait les armoiries de la famille Wychecombe. On n’y voyait pourtant pas la main sanglante, car il remontait à une date antérieure à l’institution de l’ordre des baronnets, et c’était un pré-