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homme de loi et ses fils étant nés longtemps avant sa promotion au rang de juge, il passait dans l’esprit du public pour un homme veuf, ayant une famille qui donnait de belles espérances. Pas une sur cent de ses connaissances ne soupçonnait la vérité. Rien ne lui aurait donc été plus facile que de décider son frère à faire un testament pour appeler son fils Tom à la succession. Il n’y aurait pas même eu grande difficulté à ce que Tom prît le titre de baronnet, et, car il n’y aurait pas eu de compétiteur, et les officiers de la couronne n’examinaient pas d’un œil rigide les droits de ceux qui prenaient un titre qui n’apportait avec lui aucun privilège politique. Il était pourtant bien loin d’avoir un tel projet il pensait que la transmission du domaine de Wychecombe, après son décès et celui de son frère à un autre individu, devait se faire d’après les principes qui régissaient de pareilles affaires ; et quoiqu’il se soumît aux dispositions de la loi commune, qui excluait du droit d’hérédité celui qui ne pouvait y prétendre que comme parent dans une seule ligne, il voyait et il sentait qu’à défaut de descendants en ligne directe, Wychecombe devait appartenir aux descendants de Michel par son second fils, pour la raison toute simple qu’ils descendaient de l’individu qui avait acheté le domaine, aussi bien que son frère Wycherly et lui-même. S’il eût existé même des descendants de femmes, il n’aurait pas eu la même opinion ; mais comme il fallait choisir entre la déshérence et un héritier testamentaire, le parent dans une seule ligne lui paraissait avoir l’avantage. À ses yeux, la légitimité était tout, quoiqu’il eût donné le jour à sept enfants illégitimes car tel était le nombre exact de ceux qu’il avait eus de Marthe, quoiqu’il n’en restât que trois. Après un moment de réflexion, il se tourna donc vers le baronnet, et ayant pris une potion cordiale pour rassembler ses forces, il lui parla d’un ton plus sérieux qu’il ne l’avait encore fait dans cet entretien.

— Écoutez-moi, frère Wycherly, lui dit-il d’un ton grave qui fixa sur-le-champ l’attention du baronnet ; — vous connaissez l’histoire de notre famille, et je n’aurai besoin que de vous en dire quelques mots. Nos ancêtres étaient propriétaires de Wychecombe, des siècles avant que le roi Jacques eût établi le rang de baronnet. Quand notre bisaïeul, sir Wycherly, accepta les lettres-patentes de 1611, il se rendit à peine justice, car, en aspirant plus haut, il aurait pu obtenir une pairie. Quoi qu’il en soit, il fut créé baronnet, et pour la première fois le domaine de Wychecombe fut substitué, en honneur de ce nouveau titre. Le premier sir Wycherly laissa trois fils qui lui succédèrent l’un après l’autre. Les deux aînés moururent sans s’être mariés ; le troisième fut notre grand-père, sir Thomas ; le quatrième