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propre convenance le permet. Quoi qu’il en soit, l’officier commandant qui porte un pavillon d’amiral est ordinairement encore dans son lit à cette heure, ou, s’il est levé, il ne s’occupe que d’ablutions personnelles.

L’amiral Bluewater ouvrait les yeux quand il entendit jeter le premier seau d’eau sur le pont du César, et il s’abandonna à cette espèce de jouissance qui est si particulière aux marins quand ils se trouvent élevés au grade de commandant : c’est une sorte de demi-sommeil, dans lequel l’imagination évoque toutes les anciennes images qui se rattachent aux coups de vent, à l’ordre de prendre les ris pendant la pluie, de se tenir sur une vergue en criant : Halez la toile au vent ! — de regarder par-dessus le bastingage du côté du vent, pour surveiller le temps, en recevant sur le visage le givre qui pique comme des milliers d’aiguilles, et enfin de laver le pont. Ces images indistinctes du passé ne sont pourtant évoquées que pour ajouter à l’agrément de la jouissance présente, et faire valoir par le contraste le bonheur d’être dans un lit comfortable, et la certitude de ne plus être exposé à être appelé sur le pont dans un moment inopportun.

Notre contre-amiral n’était pourtant pas un rêveur vulgaire en pareilles occasions ; il pensait peu en aucun temps à ce qui pouvait lui être personnellement agréable, si ce n’est quand quelque désagrément personnel frappait son attention. Il ne connaissait rien à la science de la table, tandis que son ami sir Gervais était profès en ce genre, et s’était même fait une réputation comme chef de gamelle, dans les premières années de son service dans la marine. Bluewater était pourtant enclin à rêver tout éveillé, même quand le soleil était au zénith, et qu’il se promenait avec ses officiers sur son gaillard d’arrière. Il ne put cependant s’empêcher ce matin-là de jeter un coup d’œil sur le passé en entendant les seaux d’eau tomber sur le pont, et de se rappeler te temps où quorum pars magna fuerat. En ce moment délectable, le visage rosé d’un midshipman parut à sa porte, et après s’être assuré que les yeux de son officier supérieur étaient bien ouverts, le jeune homme lui dit :

— Une lettre de sir Gervais, amiral Bluewater.

— Fort bien, Monsieur, répondit l’amiral en prenant la lettre. Comment va le vent, lord Geoffroy ?

— Un ouragan d’Irlandais, amiral ; un vent qui enfile la Manche. Notre premier lieutenant dit qu’il n’y a jamais vu un plus beau temps.

— Notre premier lieutenant est un grand astrologue. Le flot dure-t-il encore ?