affecte d’avoir de l’amour pour vous, qu’il en ait ou qu’il n’en ait point. Et quand une jeune fille vient à se persuader qu’elle est aimée, il lui devient difficile, surtout quand elle a de la générosité, de ne pas répondre à ce sentiment, sinon avec la même ferveur, du moins avec quelque chose qui ressemble.
— Affecte d’avoir de l’amour pour moi, Monsieur ! Et pourquoi quelqu’un se donnerait-il la peine d’en affecter, s’il n’en avait pas réellement ? Je n’ai ni naissance ni fortune ; quel motif pourrait-on avoir pour s’abaisser à une pareille hypocrisie ?
— Le motif de vouloir avoir pour épouse la plus jolie fille d’Angleterre. Mais ne nous arrêtons pas à analyser les motifs, quand les faits sont ce que nous avons a examiner. Je suis assez porté à croire que ce jeune homme n’est pas tout à fait sans attachement pour vous ; mais cette circonstance ne fait que le rendre plus dangereux. Dans tous les cas, je suis intimement convaincu qu’il n’est digne de vous sous aucun rapport. C’est exprimer hardiment son opinion après une connaissance d’un jour ; mais elle est fondée sur de si bonnes raisons, qu’il est presque impossible qu’un homme de mon âge s’y méprenne, s’il est sans préjugés.
— Tout cela est fort singulier, Monsieur, et j’étais même sur le point d’ajouter, alarmant. Mais je serai aussi franche que vous, et je vous dirai que vous jugez le jeune homme en question un peu trop sévèrement. M. Rotherham ne possède peut-être pas toutes les qualités que devrait avoir un ministre, mais il est très-loin d’être un méchant homme. Au surplus, quel qu’il puisse être, il n’est pas probable que la préférence passagère qu’il m’avait accordée l’entraîne plus loin qu’il n’a déjà été.
— M. Rotherham ! Je n’ai point parlé de lui ; je n’y pensais même pas.
Mildred resta confuse. M. Rotherham avait demandé la veille sa main à sa mère, et avait reçu un refus civil, mais positif. Cette circonstance avait été cause que le nom du ministre s’était présenté le premier à son imagination ; et la conjecture que l’amant refusé, un peu échauffé par le vin, avait pu faire part de ses désirs au contre-amiral était si naturelle, qu’elle avait commis cette méprise presque sans réflexion.
— Je vous demande pardon, Monsieur, répondit-elle, mais je croyais que c’était lui que vous aviez en vue. Mon erreur était bien naturelle, car M. Rotherham est le seul individu qui ait jamais demandé ma main à ma mère.
— Je craindrais moins ceux qui parlent à votre mère que ceux qui