Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sement malade. Tandis qu’il faisait les honneurs de sa table, il avait été frappé tout à coup d’une attaque que M. Rotherham croyait être d’apoplexie. Il l’avait saigné sur-le-champ, et le baronnet était déjà un peu mieux. Cependant on avait fait partir un exprès pour aller chercher un médecin, et comme de raison tous les convives avaient quitté la table, et l’alarme avait rétabli, quoique un peu tard, un esprit de sobriété parmi les domestiques. À la prière de mistress Dutton, le lieutenant sortit une seconde fois du salon, poussant Galleygo devant lui, pour se procurer des renseignements plus exacts sur la situation du vieux baronnet, la mère et la fille ayant pour lui une véritable affection ; car sir Wycherly avait gagné leur cœur par sa bienveillance habituelle, et par l’intérêt constant qu’il prenait à leur bonheur.

Sic transit gloria mundi ! murmura l’amiral Bluewater en se jetant sur un grand fauteuil, avec son air d’insouciance ordinaire, dans un coin obscur du salon. Le baronnet est tombé de son trône dans un moment de prospérité et de réjouissance ; pourquoi un autre n’en ferait-il pas autant ?

Mistress Dutton entendit sa voix, sans distinguer les paroles, et elle craignit que le baronnet, qu’elle aimait et respectait sincèrement, ne fût regardé sous un jour trop désavantageux par un homme du caractère du contre-amiral.

— Sir Wycherly, dit-elle un peu à la hâte, a le meilleur cœur qui puisse exister, et il n’y a pas dans toute l’Angleterre un propriétaire plus généreux. Ne croyez pas qu’il soit habitué à se livrer aux plaisirs de la table plus que ne le font ordinairement les hommes de sa condition. Sa loyauté l’a sans doute entraîné aujourd’hui plus loin qu’il n’était prudent.

— Je suis très-disposé à juger favorablement de notre hôte, ma chère mistress Dutton ; et nous autres marins nous ne sommes pas accoutumés à juger un bon vivant trop sévèrement.

— Oh ! amiral Bluewater ; vous qui avez toujours eu une réputation si bien établie de sobriété et de bonne conduite ! Je me rappelle encore comme je tremblai quand j’entendis citer votre nom parmi ceux des principaux membres de ce redoutable conseil de guerre.

— Vous laissez trop souvent votre imagination se reporter sur ces sujets désagréables, mistress Dutton, et j’aimerais à vous voir montrer à votre aimable fille l’exemple de plus d’enjouement. À l’époque dont vous parlez, je ne pouvais vous rendre service, mon serment et mon devoir s’y opposaient. Mais à présent il n’existe aucune raison qui me le défende ; au contraire, toutes les raisons possibles me l’or-