Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— On croirait que ce drôle est un excellent satiriste, dit Bluewater en riant. C’est moi qui dois vous surveiller, prendre garde que vous ne vous révoltiez, empêcher qu’un de ces matins, par un brouillard propice, vous n’emportiez l’escadre sur le haut des montagnes d’Écosse. Que pensez-vous de cette lettre ?

— Que tous les courtisans sont des fourbes et tous les princes des ingrats. Je n’aurais pas cru qu’on pût douter de mon dévouement à la bonne cause, sinon à l’homme.

— Et l’on n’en doute pas le moins du monde, j’en réponds sur ma vie. Ni le monarque régnant, ni ses serviteurs confidentiels, ne sont des sots assez fieffés pour avoir conçu une pareille méfiance. Non, ce coup de maître a été imaginé pour s’assurer de moi, en me montrant une confiance qu’ils pensent qu’un homme honnête et généreux ne voudrait pas trahir, s’il croyait la posséder. En un mot, c’est un hameçon auquel ils ont attaché un appât qui pourrait prendre un goujon, mais non une baleine.

— Les misérables peuvent-ils être si vils ! Osent-ils être si hardis ! Ils ont dû prévoir que vous me montreriez cette lettre.

— Point du tout, ils ont calculé que j’agirais comme ils auraient agi eux-mêmes. Rien n’est plus propre à gagner un homme faible qu’une prétendue confiance de cette nature, et j’ose dire que ce drôle n’a de moi que l’idée qu’il faut précisément pour s’imaginer que je me laisserais prendre à un piège si grossier. Ayez l’esprit en repos : le roi George sait fort bien qu’il peut se fier à vous ; et je crois très-probable qu’il se méfie de moi.

— J’espère, Dick, que vous ne doutez pas de ma discrétion. Mon secret ne me serait pas à demi aussi sacré que le vôtre.

— Je le sais parfaitement, Oakes, je n’ai aucune méfiance de vous, ni dans la tête ni dans le cœur ; mais je ne suis pas tout à fait aussi sûr de moi. Quand en sent vivement, on ne raisonne pas toujours, et il y a en moi plus de sentiment qu’autre chose dans cette affaire.

— Il n’y a pas une seule ligne dans toutes mes dépêches qui montre la moindre méfiance de moi, ni de qui que ce soit on y parle de vous, mais en termes qui doivent vous satisfaire et non vous alarmer. Prenez-les et lisez-les : j’avais dessein de vous les montrer dès que nous aurions terminé cette maudite discussion.

En partant ainsi, le vice-amiral mit sur la table son paquet de lettres devant son ami.

— Il sera assez temps de les lire, répondit Bluewater, quand vous m’appellerez régulièrement à un conseil de guerre. Peut-être ferons--