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der[1], que si la mer n’était pas dans le voisinage, et qu’on ne pût trouver un seul poisson dans toute l’Angleterre. Quand je lui parlai de chouder, elle baissa pavillon, comme un bâtiment espagnol à la quatrième ou cinquième bordée.

— Une telle ignorance est honteuse. Elle annonce une décadence dans la civilisation. Mais vous lui avez donné d’autres échantillons de vos connaissances ? La science administrée par petites doses est une pauvre chose, Galleygo.

— Sans doute, Votre Honneur ; c’est comme du grog faible, ou une amorce qui brûle sans faire partir le boulet. Mais quand je lui parlai de burgoo[2] elle me dit que ce plat n’était pas dans son livre de cuisine. Savez-vous, sir Gervais, que ces fainéants qui ne vont jamais sur mer préparent leurs dîners comme notre master calcule la hauteur du soleil, c’est-à-dire à l’aide d’un livre ? — Voilà de terribles nouvelles Messieurs, touchant le fils du Prétendant. Je suppose que nous aurons à conduire notre escadre en Écosse, car je m’imagine que ces soldats ne feront pas grande besogne sans nous.

— Et ne nous avez-vous honorés d’une visite que pour nous faire une dissertation de cuisine, et nous apprendre ce que vous comptez faire de l’escadre ! dit sir Gervais d’un ton sévère qu’il n’avait pas coutume de prendre avec son maître d’hôtel.

— Dieu me protège, sir Gervais, je ne songeais ni à l’un ni à l’autre. Vous parler à vous ou à l’amiral Bleu, — car c’était ainsi que les marins avaient coutume de nommer le commandant en second d’une escadre — de lobscouse, de chouder et de burgoo, autant vaudrait porter du charbon à Newcastle. Je vous en ai nourris tous deux quand vous n’étiez encore que midshipmen, et quand vous étiez un couple de jeunes lieutenants de bonne mine. Quant à mettre l’escadre sous voiles, je sais fort bien que cela ne peut arriver avant que nous en ayons causé dans la chambre de conseil du vieux Plantagenet, qui est une place plus naturelle pour une pareille conversation que toutes les maisons d’Angleterre.

— Puis-je donc prendre la liberté de vous demander qui vous a amené ici ?

— De tout mon cœur, sir Gervais, car j’aime à répondre à vos questions. Ce n’est pourtant pas pour Votre Honneur que j’y suis venu cette fois-ci, quoique vous soyez mon maître. C’est peu de

  1. Autre mets de mer. Il se compose de poisson frais, de porc salé, de biscuit de mer, et de différentes herbes, le tout disposé par couches.
  2. Bouillie de farine d’avoine.