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C’est une illusion que la mort seule peut dissiper. L’épuisement la força de s’arrêter, et son frère et sa compagne restèrent en silence, osant à peine respirer. Mais miss Singleton ayant repris haleine, et recueillant ses forces, appuya une main sur celle de Frances, et ajouta du ton le plus doux : — Miss Wharton, s’il existe un cœur qui soit en rapport avec celui de Dunwoodie, et qui soit digne de son amour, c’est le vôtre.

Un feu soudain brilla sur les joues de Frances, et un éclair de plaisir partit de ses yeux tandis qu’elle les levait sur Isabelle ; mais la vue de sa compagne expirante la rappela à des sentiments plus dignes d’elle, et sa tête retomba sur la couverture du lit. Isabelle suivait tous ses mouvements avec un sourire qui annonçait l’admiration et la pitié.

— Telles ont été les sensations auxquelles j’échappe, dit-elle oui, miss Wharton, Dunwoodie est entièrement à vous.

— Soyez juste envers vous-même, ma sœur, s’écria Singleton ; qu’une générosité romanesque ne vous fasse pas oublier le soin de votre propre réputation.

Elle le laissa parler, jeta sur lui un regard plein du plus tendre intérêt, et lui répondit en secouant doucement la tête.

— Ce n’est pas un sentiment romanesque, c’est la vérité qui me fait parler. Oh ! combien j’ai vécu depuis une heure !… Miss Wharton, je suis née sous le soleil brûlant de la Géorgie, et mes sentiments semblent en avoir pris toute la chaleur… Je n’ai existé que pour l’amour.

— Ne parlez pas ainsi, je vous en conjure ! s’écria son frère avec une vive agitation. Songez avec quel dévouement vous avez aimé notre vieux père… combien a été désintéressée votre affection pour moi !

— Oui, dit Isabelle, un sourire de plaisir ranimant un instant ses traits, c’est une réflexion qu’on peut porter au tombeau.

Ni son frère ni Frances ne l’interrompirent dans ses méditations qui durèrent quelques minutes ; mais revenant à elle tout à coup, elle reprit la parole :

— L’égoïsme vit donc jusqu’au dernier instant, dit-elle. Miss Wharton, l’Amérique et sa liberté ont été la première passion de ma jeunesse, et… Elle s’arrêta encore, et Frances crut qu’elle commençait à lutter contre la mort ; mais revenant à elle, miss Singleton ajouta avec une rougeur qui eût été remarquée sur son visage même en santé : — Pourquoi hésiterais-je à l’avouer sur le