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temps on vit paraître tout à coup au milieu de la compagnie un homme dont la présence arrêta tout à fait la cérémonie. C’était le colporteur. Ses yeux si timides naguère n’évitaient plus les regards des autres, mais jetaient autour de lui des regards égarés. Tout son corps était agité d’une émotion extraordinaire ; mais elle passa comme l’ombre d’un nuage chassé par un vent impétueux, et, prenant son air d’humilité profonde et de respect habituel, il se tourna vers le futur époux, et lui dit en le saluant :

— Comment le colonel Wellmere peut-il perdre ici des moments précieux quand sa femme vient de traverser l’Océan pour venir le joindre ? Les nuits sont longues, la lune va se lever ; en quelques heures il serait à New-York.

Interdit à ce discours soudain, Wellmere fut un instant décontenancé. La physionomie de Birch, quoique effarée, ne fit naître aucune terreur dans l’esprit de Sara ; mais dès qu’elle revint de la surprise que lui avait occasionnée cette interruption, elle jeta un coup d’œil inquiet sur les traits de l’homme auquel elle venait de s’engager pour la vie, et y lut la terrible confirmation de ce que le colporteur venait de dire. Tout ce qui était dans le salon lui parut à l’instant tourner autour d’elle, et elle tomba sans connaissance entre les bras de sa tante. Il existe dans la femme un instinct de délicatesse qui semble triompher un moment de toutes les autres émotions, quelque puissantes qu’elles soient ; cet instinct fit que miss Peyton et Frances emportèrent Sara dans un autre appartement, et les hommes restèrent seuls dans le salon.

La confusion qui suivit l’évanouissement de Sara facilita la retraite du colporteur, qui disparut avec une promptitude qui n’aurait pas permis qu’on l’atteignît si l’on avait songé à le poursuivre. Wellmere vit alors tous les yeux fixés sur lui avec un silence de mauvais augure.

— Cela est faux. Faux comme l’enfer ! s’écria-t-il en se frappant le front avec le poing ; je n’ai jamais reconnu ses prétendus droits, et les lois de mon pays ne me forceront pas à les reconnaître.

— Mais les lois de Dieu et celles de la conscience ? lui demanda Lawton.

Avant que Wellmere eût eu le temps de répondre, Singleton, jusqu’alors appuyé sur le bras du dragon qui le servait, s’avança au centre du cercle, et s’écria, les yeux étincelants d’indignation :

— Voilà donc l’honneur anglais ! cet honneur dont votre nation est si fière, mais dont elle ne daigne pas suivre les lois à l’égard