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glais et les Américains, et qui ne prend parti ni pour les uns ni pour les autres.

— C’est la vérité, dit M. Wharton en jetant tour à tour un regard inquiet sur ses deux hôtes ; j’ai des amis bien chers dans les deux armées, et de quelque côté que se déclare la victoire, elle peut me coûter bien des larmes.

— Je suppose que vous n’avez guère de raisons pour craindre qu’elle favorise les Yankees[1], dit le nouveau venu en se versant avec beaucoup de sang-froid un autre verre de vin de la bouteille qu’il avait admirée.

— Sa Majesté Britannique peut avoir des troupes plus expérimentées, dit M. Wharton avec un ton de réserve timorée ; mais les Américains ont obtenu de grands succès.

M. Harper ne parut faire aucune attention à ces observations, et se leva de table en témoignant le désir de se retirer. Un domestique fut chargé de le conduire dans sa chambre, et il le suivit en souhaitant avec politesse une bonne nuit à toute la compagnie ; mais à peine était-il parti que le second voyageur laissant, échapper de ses mains son couteau et sa fourchette, se leva tout doucement, s’approcha de la porte par laquelle le premier venait de sortir, l’entrouvrit, écouta le bruit de ses pas, qui, diminuant graduellement, annonçait qu’il s’éloignait, et la referma au milieu des regards surpris et presque effrayés de ses compagnons. Au même instant on vit disparaître la perruque rousse qui cachait de beaux cheveux noirs, une grande mouche qui lui couvrait la moitié du visage, et le dos voûté qui lui aurait fait donner cinquante ans.

— Mon père ! mes sœurs ! ma tante ! s’écria l’étranger, devenu un beau jeune homme, ai-je enfin le bonheur de vous revoir ?

— Que le ciel vous bénisse, mon cher Henry, mon cher fils ! s’écria son père surpris mais enchanté, tandis que ses sœurs, la tête appuyée sur chacune de ses épaules, fondaient en larmes.

Le fidèle vieux nègre, qui avait été élevé depuis son enfance dans la maison de son maître actuel, et à qui on avait donné le nom de César, comme pour faire contraste avec son état de dégradation, fut le seul étranger témoin de la découverte du fils de

  1. Terme de mépris par lequel les Anglais désignaient les Américains. Nous avons déjà donné l’étymologie de ce nom, qui est une corruption du mot english prononcé par les Indiens, etc.