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sait au loin devant lui. On pouvait distinguer à quelque distance sur les hauteurs des patrouilles de dragons de la Virginie gardant tous les défilés. Penchés sur le pommeau de leur selle, à cause du vent glacial qui venait de traverser les grands lacs d’eau douce, ils serraient contre leurs membres leurs manteaux pour s’en garantir.

Elle vit disparaître à ses yeux le cercueil, dernière demeure du défunt, lorsqu’on le descendit lentement dans la fosse, et cette vue prêta une nouvelle tristesse au spectacle que lui offrait la nature. Le capitaine Singleton dormait, et le dragon qui le servait veillait avec soin près de son lit. On avait réussi à persuader à sa sœur d’aller prendre possession de la chambre qui lui avait été préparée, et de chercher à y goûter le repos dont l’avait privée le voyage qu’elle avait fait la nuit précédente. La porte de cette chambre donnait sur la galerie dont il a déjà été parlé, mais elle en avait une autre qui communiquait à l’appartement qu’occupaient les deux sœurs. Cette porte était entrouverte, et Frances s’en approcha dans l’intention charitable de voir comment se trouvait sa nouvelle compagne. À sa grande surprise, elle vit celle qu’elle croyait assoupie non seulement éveillée, mais occupée d’une manière qui ne permettait pas de supposer qu’elle songeât à se livrer au sommeil. Les tresses de cheveux noirs qui pendant le dîner étaient serrées autour de sa tête et attachées sur le sommet, tombaient avec profusion sur son sein et sur ses épaules, et donnaient un air presque égaré à sa physionomie expressive ; ses yeux noirs étaient fixés avec la plus vive attention sur un portrait qu’elle tenait en main. Frances put à peine respirer quand un mouvement d’Isabelle lui permit de voir que c’était celui d’un homme portant l’uniforme bien connu des dragons de Virginie ; mais elle appuya la main sur son cœur comme pour en calmer l’agitation quand elle crut reconnaître des traits toujours présents à son imagination. Elle sentit que les convenances ne lui permettaient pas de surprendre le secret d’une autre, mais son émotion était trop forte pour qu’il lui fût possible de parler, et reculant d’un pas, elle s’assit sur une chaise d’où elle pouvait encore voir Isabelle, sur qui ses yeux restaient attachés comme en dépit d’elle-même.

Miss Singleton était trop exclusivement occupée de ses propres idées pour apercevoir la jeune fille tremblante, témoin de ses moindres mouvements, et elle appuya ses lèvres sur ce portrait