Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en appeler en pareil cas, celui de la force, et c’est celui auquel nous en appelons.

— Une telle doctrine peut convenir à vos projets, dit Wellmere en souriant dédaigneusement, mais est contraire aux opinions et aux principes de toutes les nations civilisées.

— Elle est conforme à leur pratique, répliqua avec force le docteur encouragé par un coup d’œil de Lawton, qui rendait justice au bon sens et au jugement de son camarade, tout en riant de ce qu’il appelait son jargon de médecin. Qui voudrait être esclave quand il peut être libre ? Le seul point raisonnable d’où l’on doive partir, c’est que toute société a le droit de se gouverner elle-même, pourvu qu’elle ne viole pas les lois de Dieu.

— Et vous croyez-vous conformer à ces lois en retenant vos semblables en esclavage ?

Sitgreaves but un verre de vin, toussa, et revint à la charge.

— Monsieur, dit-il, l’esclavage à une origine bien ancienne, et il est universellement répandu. Toutes les religions et toutes les formes de gouvernement passées ou présentes l’ont admis, et il n’existe pas une seule nation dans l’Europe civilisée qui n’en ait reconnu ou n’en reconnaisse encore le principe.

— J’espère que vous en excepterez la Grande-Bretagne, Monsieur ?

— Non certainement, je ne l’en excepterai pas, répondit le docteur avec force, sentant qu’il allait porter la guerre sur le territoire ennemi. Ce sont ses enfants, ses navires, ses lois qui ont introduit et naturalisé l’esclavage dans ce pays. C’est donc sur elle que la faute doit en retomber ; c’est elle seule qu’il faut en accuser. Nous ne faisons que suivre la route qu’elle nous a tracée. Mais pourquoi continuons-nous à la suivre ? C’est qu’on ne peut remédier aux abus que graduellement, de peur de faire naître des maux encore plus grands que ceux qu’ils causent. Avec le temps, nous affranchirons nos esclaves, et l’on ne trouvera plus dans cette belle contrée une seule image du Créateur réduite à cet état avilissant qui lui permet à peine de reconnaître ses célestes bienfaits.

On se rappellera qu’il y a quarante ans que le docteur Sitgreaves parlait ainsi, et par conséquent Wellmere ne pouvait s’inscrire en faux contre sa prophétie.

Trouvant le combat au-dessus de ses forces, le colonel anglais quitta la table et alla rejoindre les dames dans le salon. Là, assis