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— Je suppose, Monsieur, que ce M. Dunwoodie obtiendra de l’avancement dans l’armée des rebelles par suite de l’avantage que mon infortune lui a fait remporter sur le corps qui est sous mes ordres ?

Le dragon avait satisfait aux besoins de la nature à son parfait contentement, et à l’exception de Washington et de son major, il n’existait peut-être pas un seul être sur la terre dont le déplaisir ne lui fût parfaitement indifférent. Il était prêt à riposter à coups de langue ou à coups de sabre, n’importe à qui. Il remplit donc son verre de sa liqueur favorite, et répondit avec un sang froid admirable :

— Pardon, colonel Wellmere. Le major Dunwoodie doit fidélité aux États confédérés de l’Amérique septentrionale ; il n’y a jamais manqué : ce n’est donc pas un rebelle. J’espère qu’il obtiendra de l’avancement, d’abord parce qu’il le mérite, et ensuite parce que je suis le premier en rang après lui. Quant à l’infortune dont vous parlez, je ne sais ce que vous voulez dire, à moins que vous ne regardiez comme une infortune d’avoir eu à combattre la cavalerie de Virginie.

— Je n’ai pas envie de quereller sur des mots, Monsieur, dit le colonel avec un air de dédain. J’ai parlé comme me l’a inspiré mon devoir envers mon souverain. Mais ne regardez-vous pas comme une infortune pour un corps la perte de son commandant ?

— Il peut quelquefois arriver que c’en soit une, répondit Lawton avec une emphase bien prononcée.

— Miss Peyton, proposez-nous donc une santé ! s’écria M. Wharton inquiet de la tournure que prenait la conversation, et craignant qu’on ne lui demandât son opinion.

Sa belle-sœur inclina la tête avec un air de dignité, et Henry ne put s’empêcher de sourire en entendant sa tante prononcer le nom du général Montrose, tandis que des couleurs longtemps absentes de ses joues s’y glissaient furtivement.

— Il n’y a pas de terme plus équivoque que celui d’infortune, dit le docteur sans faire attention à la manœuvre adroite à laquelle son hôte avait eu recours pour changer de conversation. Les uns appellent une chose infortune, et les autres donnent le même nom à ce qui lui est diamétralement opposé. Une infortune en engendre une autre. La vie est une infortune, puisqu’elle nous expose à en éprouver ; et la mort en est également une, puisqu’elle met fin aux jouissances de la vie.