Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand elle vit sortir Katy Haynes du milieu d’un épais brouillard qui se dissipait sous les rayons bienfaisants du soleil. La femme de charge marchait à grands pas en se dirigeant vers les Sauterelles, et il y avait dans son air quelque chose qui annonçait une détresse extraordinaire. La bonne miss Peyton ouvrit la porte de l’appartement dans l’intention charitable d’adoucir un chagrin qui paraissait si accablant. En la voyant de plus près elle reconnut à ses traits altérés qu’elle ne s’était pas trompée, et éprouvant le choc dont un bon cœur ne manque jamais d’être frappé à l’instant d’une séparation subite et éternelle, fût-ce du plus humble individu de sa connaissance, elle lui dit sur-le-champ :

— Eh bien ! Katy, le pauvre homme est donc parti ?

— Non, Madame, reprit la pauvre fille avec amertume, mais il peut partir maintenant quand il lui plaira. Tout ce qu’il y a de pire lui est arrivé ; je crois vraiment, miss Peyton, qu’ils ne lui ont pas laissé de quoi acheter un autre habit pour cacher sa nudité ; car celui qui lui reste n’est pas des meilleurs, je vous l’assure.

— Comment, Katy ! et qui peut avoir eu le cœur de piller un malheureux dans un tel moment de détresse ?

— Le cœur ? de pareils hommes n’ont ni cœur ni entrailles. Oui, miss Peyton, il y avait dans le pot de fer cinquante-quatre bonnes guinées de bon et bel or. Combien y en avait-il en dessous ! C’est plus que je ne saurais dire ; car, pour le savoir, il aurait fallu les compter, et je n’ai pas voulu y toucher, car on dit que l’argent des autres s’attache facilement aux doigts. Cependant, d’après les apparences, il devait bien s’y trouver deux cents guinées, sans parler de ce qu’il y avait dans le petit sac de cuir. Mais avec tout cela, qu’est Harvey aujourd’hui ? rien qu’un mendiant, et vous savez que tout le monde méprise un mendiant !

— On doit plaindre l’indigent et non le mépriser, dit miss Peyton qui ne pouvait encore se figurer toute l’étendue des malheurs de ses voisins ; mais comment va le pauvre vieillard ? Cette perte dont vous parlez l’affecte-t-elle beaucoup ?

La physionomie de Katy changea tout à coup : elle perdit l’expression du chagrin naturel pour prendre celle d’une mélancolie étudiée.

— Heureusement pour lui, répondit-elle, il est à l’abri des soucis de ce monde. Le son des guinées l’a fait sortir de son lit, et sa pauvre âme n’a pu résister à ce coup : il est mort deux heures dix minutes avant que le coq chantât, autant que j’en puis juger, et…