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OU LE TUEUR DE DAIMS.
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nière presque imperceptible, la souleva de l’épaisseur d’un cheveu, et décrivant un demi-cercle autour du rocher, elle toucha bientôt au rivage. Deerslayer vit tout cela, mais le battement de son pouls n’en fut pas accéléré, et il ne chercha point à ramer avec plus de force. Si quelque Indien était en embuscade pour attendre l’arrivée de la pirogue, ce sauvage devait le voir lui-même, et en ce cas la plus grande circonspection lui était nécessaire pour s’approcher du rivage ; si, au contraire, personne n’était aux aguets, il était inutile de se presser. Cette pointe étant à une grande distance du camp des Indiens, il espérait que cette dernière supposition serait la véritable ; et pourtant la première était non seulement possible, mais probable, car les sauvages trouvaient et adoptaient promptement tous les expédients auxquels donnait lieu leur manière de faire la guerre, et il était à croire qu’ils avaient sur les bords du lac plus d’un espion cherchant quelque pirogue pour les conduire au château. Comme il ne fallait qu’un coup d’œil, de l’extrémité d’une pointe, ou du haut de la moindre élévation de terre, pour découvrir le plus petit objet flottant sur l’eau, on ne pouvait espérer qu’aucune des pirogues échappât à leurs regards, et ils avaient trop de sagacité pour ne pas savoir de quel côté dériverait une pirogue ou un tronc d’arbre quand ils avaient une fois reconnu d’où venait le vent. Les rames de Deerslayer battirent donc l’eau moins fréquemment à mesure qu’il s’approchait du rivage ; son œil devint plus vigilant, et ses oreilles et ses narines semblèrent se dilater par suite des efforts qu’il faisait pour découvrir tout danger caché. C’était un moment difficile pour un novice, et il n’avait pas même l’encouragement que donne à un homme timide la certitude qu’on le voit et qu’on observe sa conduite. Il était seul, réduit à ses propres ressources, et nulle voix amie ne l’animait à de grands efforts. Malgré toutes ces circonstances, le vétéran le plus expérimenté dans la guerre des forêts n’aurait pu mieux se comporter. Également éloigné de l’hésitation et de la témérité, il continuait sa route avec une sorte de prudence philosophique qui semblait écarter de lui l’influence de tout autre motif que ceux qui étaient les plus propres à le faire réussir dans son dessein. Tel fut le commencement des exploits de cet homme dans la guerre des forêts, exploits qui le rendirent aussi renommé, à sa manière, et dans le cercle limité de sa carrière et de ses habitudes, que bien des héros dont les noms ornent des histoires plus célèbres qu’une légende aussi simple que celle-ci ne peut jamais le devenir.

Quand il fut à environ cinquante toises du rivage, Deerslayer se