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OU LE TUEUR DE DAIMS.

de vos filles aussi bien que du château. L’ennemi est maître des côtes du lac, on ne peut le nier, mais il n’a pas l’eau en sa possession. La Providence veille sur tout, et personne ne peut dire ce qui en résultera ; mais si la bonne volonté suffit pour vous servir vous et les vôtres, comptez sur moi. Je n’ai pas beaucoup d’expérience, mais la bonne volonté y est.

— Oui, oui, Deerslayer, s’écria Hurry de sa voix de stentor, qui avait pourtant perdu son ton de gaieté insouciante. — Vous avez de bonnes intentions, mais que pouvez-vous faire ? vous n’êtes pas grand’chose dans le meilleur des temps, et vous ne ferez pas un miracle dans le pire. S’il y a un sauvage sur ce lac, il y en quarante, et c’est une armée que vous n’êtes pas homme à vaincre. Ce que vous pouvez faire de mieux, suivant moi, c’est d’aller droit au château, de prendre les deux filles sur la pirogue avec quelques provisions, de gagner le coin du lac par où nous sommes venus, et de vous mettre en marche sur-le-champ vers le Mohawk. Ces démons ne sauront où vous chercher d’ici à quelques heures ; et quand ils le sauraient, vous aurez une bonne avance sur eux. Voilà mon avis dans cette affaire, et si le vieux Tom veut faire son testament d’une manière favorable à ses filles, il en dira autant.

— Cela ne vaut rien, jeune homme, répliqua Hutter. Les ennemis ont les yeux ouverts ; ils vous verront, et ils s’empareront de vous. Ne comptez que sur le château, et par-dessus tout n’approchez pas de la terre. Tenez bon une semaine, et des détachements envoyés des forts chasseront ces sauvages.

— Il ne se passera pas vingt-quatre heures, vieux Tom, avant que ces renards aient fabriqué des radeaux pour attaquer le château ; s’écria Hurry avec plus de force qu’on n’aurait pu en attendre d’un prisonnier ayant les jambes et les bras garrottés, et à qui il ne restait que la langue de libre. Votre avis est bon en lui-même, mais il aura de mauvaises suites. Si vous ou moi nous étions dans le château, nous pourrions y tenir bon quelques jours ; mais n’oubliez pas que ce jeune homme n’avait jamais vu un ennemi avant cette nuit, et qu’il a ce que vous avez appelé vous-même une conscience des établissements ; quoique, quant à moi, je pense que les consciences sont à peu près les mêmes dans les établissements et sur les frontières. — Deerslayer, ces sauvages me font signe de vous engager à venir à terre avec la pirogue ; mais je n’en ferai rien. Ce serait agir contre la raison et la nature. Quant au vieux Tom et à moi, nous scalperont-ils cette nuit, nous garderont-ils pour nous faire mourir dans les tortures, ou nous emmèneront-