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OU LE TUEUR DE DAIMS.

ment la rivière. Les arbres qui croissaient sur les deux rives entrelaçaient leurs cimes, de sorte que le courant passait sous une arche de verdure, trait peut-être aussi particulier à ce pays qu’à la Suisse, où les rivières se précipitent littéralement du haut des glaciers.

L’arche allait passer le dernier coude du Susquehannah, quand Deerslayer, après avoir examiné tout ce qu’il pouvait voir de la rive orientale, traversa la cabine pour examiner par une fenêtre de l’autre côté la rive occidentale. Il était temps qu’il y arrivât, car il n’eut pas plus tôt appliqué un œil à une fente, qu’il vit un spectacle qui aurait pu alarmer une sentinelle si jeune et ayant encore si peu d’expérience. Un arbre s’avançait sur l’eau presque en forme de demi-cercle, s’étant incliné vers la lumière pendant sa première croissance, et ayant ensuite été courbé sous le poids des neiges, ce qui n’est pas rare dans les forêts de l’Amérique. Six Indiens se montraient déjà sur cet arbre, et d’autres se préparaient à les suivre dès que les premiers leur laisseraient de la place. Il était évident que leur but était d’y avancer assez loin pour se laisser couler sur le toit de la cabine quand l’arche passerait au-dessous. Cet exploit n’était pas très-difficile, l’inclinaison de l’arbre permettant d’y monter aisément, les branches offrant aux mains un bon appui, et la chute n’étant pas assez haute pour être dangereuse. Deerslayer aperçut ces Indiens à l’instant même où ils se montraient en montant sur la partie de l’arbre qui était voisine de la terre, ce qui était la partie la plus difficile de leur entreprise ; et la connaissance qu’il avait déjà des habitudes des Indiens lui apprit qu’ils avaient le corps peint en guerre, et qu’ils faisaient partie d’une tribu ennemie.

— Halez la corde, Hurry ! s’écria-t-il, halez, il y va de la vie. Halez ! halez ! si vous aimez Judith Hutter !

Cet appel était fait à un homme qui avait la force d’un géant, et le ton en était si pressant et si solennel, que Hutter et March sentirent qu’il n’était pas fait sans raison. Ils halèrent tous deux la corde de toutes leurs forces, et passèrent sous l’arbre avec la même rapidité que s’ils eussent connu le danger qui les menaçait. S’apercevant qu’ils étaient découverts, les Indiens poussèrent leur horrible cri de guerre, et continuant à monter sur l’arbre, tous les six sautèrent tour à tour, espérant tomber sur leur prise supposée ; mais ils tombèrent tous dans l’eau à plus ou moins de distance de l’arche, suivant qu’ils étaient arrivés plus ou moins vite à l’endroit d’où il fallait sauter. Le chef seul, qui marchait à leur tête, et qui avait pu arriver assez à temps pour sauter avec plus de succès, tomba juste sur le bord de l’arrière. Mais il tomba de plus haut qu’il ne l’a-