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DEERSLAYER

Un léger serrement de main lui répondit affirmativement. Judith alla chercher Hurry et l’amena près du lit de sa sœur. Il est probable que jamais cet habitant grossier des frontières ne s’était trouvé dans une situation qui le fit paraître si gauche ; quoique le penchant que Hetty avait conçu pour lui fût d’une nature trop pure et trop céleste pour qu’il eût jamais pu en avoir le moindre soupçon. Il laissa Judith placer ses mains dans celles de la mourante, et attendit le résultat en silence.

— Voici Hurry, chère sœur, dit Judith penchée sur sa sœur, osant à peine parler assez haut pour s’entendre elle-même ; parlez-lui, et laissez-le se retirer.

— Que lui dirai-je, Judith ?

— Tout ce que la pureté de votre cœur vous portera à lui dire, Hetty ; fiez-vous-y, et vous n’avez rien à craindre.

— Adieu, Hurry ! murmura Hetty en lui serrant doucement la main. — Je voudrais que vous fissiez tous vos efforts pour ressembler davantage à Deerslayer.

Elle prononça ces mots avec difficulté ; une rougeur encore plus faible que la première parut sur son visage ; elle laissa aller la main de Hurry, et tourna la tête de l’autre côté comme si elle n’eût plus rien de commun avec le monde. Le sentiment mystérieux qui l’avait attachée à ce jeune homme, sentiment qui lui était presque inconnu à elle-même, et qu’elle n’aurait jamais conçu si elle avait eu l’usage complet de sa raison, disparut pour toujours, perdu dans des pensées d’un caractère plus élevé, mais à peine plus pur.

— À qui pensez-vous, chère sœur ? lui demanda Judith à voix basse ; désirez-vous quelque chose ?

— Je vois ma mère ; — je la vois dans le lac, — entourée d’une foule d’êtres brillants. — Mais pourquoi n’y vois-je pas mon père ? — cela est bien étrange ! je vois ma mère ; et vous, je ne puis vous voir. — Adieu, Judith !

Elle ne prononça ces derniers mots que quelques minutes après les autres, et Judith resta encore quelque temps courbée sur sa sœur, avant de s’apercevoir que son esprit s’était envolé. Ainsi mourut Hetty, un de ces liens mystérieux entre le monde matériel et immatériel, qui, tout en paraissant privés d’une partie de ce qui semble nécessaire à notre état d’existence sur la terre, offrent un si beau modèle de la pureté de celui qui doit le suivre.