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DEERSLAYER

— Hurons, dit-il, la terre est grande ; il y a place derrière les grands lacs d’eau douce pour les Iroquois, et de ce côté-ci pour les Delawares. Je suis Chingachgook, fils d’Uncas, et parent de Tamenund. Wah est ma fiancée, et cet homme blanc est mon ami. Mon cœur fut percé quand je vis qu’il me manquait, et je le suivis dans votre camp pour veiller à ce qu’il ne lui arrivât aucun mal. Toutes les jeunes filles delawares attendent Wah, et sont surprises qu’elle soit absente si longtemps. Disons-nous adieu, et partons chacun de notre côté.

— Hurons ! s’écria Briarthorn, cet homme est votre ennemi mortel ; c’est le Grand-Serpent des Delawares. S’il vous échappe, vos moccasins laisseront des traces de sang depuis l’endroit où nous sommes jusqu’au Canada. Moi, je suis tout Huron.

En parlant ainsi, le traître lança son couteau contre la poitrine nue du Delaware. Hist, qui était près de Briarthorn, détourna le coup en lui poussant le bras, et l’arme meurtrière alla s’enfoncer dans un pin. L’instant d’après, une arme semblable brilla dans la main du Grand-Serpent, partit, et perça le cœur du transfuge. Une minute s’était à peine écoulée depuis l’instant où Chingachgook s’était élancé dans le cercle, jusqu’à celui où Briarthorn tomba comme un arbre au dernier coup de hache. La rapidité des événements avait tenu les Hurons dans l’inaction ; mais cette catastrophe leur fit sentir qu’il était temps d’agir : ils poussèrent leur cri de guerre, et tous se mirent en mouvement. En cet instant, un bruit inusité se fit entendre dans la forêt, et tous les Hurons, hommes et femmes, s’arrêtèrent pour écouter. C’était un son sourd et régulier, comme si l’on eût frappé la terre avec des marteaux de paveurs. Quelque chose se montra dans le lointain à travers les arbres ; on distingua ensuite une troupe de soldats marchant d’un pas mesuré ; ils avancèrent au pas de charge dès qu’ils aperçurent l’ennemi, et l’on reconnut l’uniforme écarlate des Anglais.

Il serait difficile de décrire la scène qui suivit : un ordre admirable régnait d’un côté ; de l’autre, ce n’étaient que confusion, efforts frénétiques et désespoir. Les Hurons poussèrent des cris de fureur, les soldats y répondirent par des acclamations joyeuses ; Pas un coup de fusil ne fut tiré, mais la troupe continuait à marcher, la baïonnette en avant. Les Hurons se trouvaient dans une position très-désavantageuse : ils étaient entourés de trois côtés par l’eau du lac, et de l’autre un détachement d’environ soixante soldats bien armés et bien disciplinés leur coupait la retraite. Les guerriers indiens coururent chercher leurs armes, et tous, hommes,