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DEERSLAYER

mensonge. Elle sentit qu’il était impossible de faire passer dans l’esprit des sauvages une fille du Rat-Musqué pour une princesse ou une grande dame ; et elle vit échouer le moyen hardi et ingénieux qu’elle avait imaginé pour sauver le prisonnier, par une des causes les plus simples et les plus naturelles du monde. Elle jeta un coup d’œil sur Deerslayer, comme pour l’inviter à faire un effort pour les sauver tous deux.

— Cela est impossible, Judith, répondit le jeune chasseur à cet appel muet, qu’il comprit, mais dont il sentit l’inutilité, complètement impossible. C’était une idée hardie et digne de la femme d’un général ; mais ce Mingo là-bas, — Rivenoak s’était retiré à quelque distance avec ses chefs, et ne pouvait les entendre, — ce Mingo là-bas est un homme peu commun, et toute ruse qui est contre nature ne peut réussir contre lui ; il faut des choses qui se présentent à lui dans un ordre naturel pour couvrir ses yeux d’un brouillard. C’en était trop d’espérer que vous lui feriez croire que vous étiez une grande dame vivant dans ces montagnes ; et je ne doute pas qu’il ne pense que la parure que vous portez fait partie du butin de votre père, — ou du moins de l’homme qui passait pour l’être, et qui l’est probablement, si tout ce qu’on dit est vrai.

— Dans tous les cas, Deerslayer, ma présence ici sera une sauvegarde pour vous pendant quelque temps ; ils n’essaieront pas de vous torturer sous mes yeux.

— Pourquoi non, Judith ? Croyez-vous qu’ils auront plus de ménagements pour une femme blanche que pour leurs squaws ? Il est probable que votre sexe vous mettra à l’abri des tourments, mais il ne sauvera pas votre liberté, ni peut-être votre chevelure. Je regrette que vous soyez venue ici, Judith ; cela ne peut me faire aucun bien, et il peut en résulter beaucoup de mal pour vous.

— Je puis partager votre destin, répondit-elle avec un généreux enthousiasme. — Ils ne vous feront aucun mal en ma présence, si je puis l’empêcher. — D’ailleurs…

— D’ailleurs quoi ? Judith ? Quel moyen avez-vous d’empêcher la cruauté diabolique des Indiens ?

— Peut-être aucun, répondit-elle avec fermeté ; — mais je puis souffrir avec mes amis, — mourir avec eux, s’il le faut.

— Ah ! Judith, vous pouvez souffrir, mais vous ne mourrez pas avant le terme que Dieu a fixé à vos jours. Il n’est pas probable qu’une femme si jeune et si belle ait un sort plus rigoureux que de devenir la femme de quelque chef, si vous pouvez vous résoudre à prendre un Indien pour mari. Il aurait bien mieux valu que vous