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DEERSLAYER

— Lequel de ces guerriers est le principal chef ? demanda Judith à Deerslayer, dès qu’elle vit qu’on attendait qu’elle entamât l’entretien. Ce que j’ai à dire est trop important pour que je m’adresse à un homme d’un rang inférieur. Expliquez d’abord aux Hurons ce que je vous dis, et répondez ensuite à ma question.

Deerslayer lui obéit sur-le-champ, et chacun écouta avec la plus vive attention l’interprétation des paroles d’un être si extraordinaire. Sa demande parut très-convenable dans la bouche d’une femme qui leur semblait elle-même du rang le plus élevé. Rivenoak y répondit en s’avançant vers elle, de manière à ne laisser aucun doute qu’il n’eût droit à la distinction qu’il réclamait.

— Je puis croire ce Huron, reprit Judith jouant son rôle avec un air de dignité qui aurait fait honneur à une actrice, car elle cherchait à donner à ses manières cette condescendance courtoise qu’elle avait vue dans la femme d’un officier-général dans une occasion semblable, quoique d’un genre plus pacifique. Il m’est facile de croire que vous êtes ici le principal chef, car je vois sur votre physionomie des traces de pensées et de réflexion. C’est donc à vous que je dois m’adresser.

— Que la Fleur-des-Champs parle, répondit le vieux chef dès que les paroles de Judith lui eurent été expliquées. Si ses paroles sont aussi agréables que ses regards, elles ne sortiront jamais de mes oreilles, et je les entendrai encore longtemps après que l’hiver du Canada aura tué toutes les fleurs et glacé tous les discours de l’hiver.

Tout tribut d’admiration plaisait toujours à Judith, et le discours du vieux chef l’aida à conserver son sang-froid tout en nourrissant sa vanité. Souriant involontairement, en dépit du désir qu’elle avait de maintenir un air de réserve, elle reprit la parole :

— Maintenant, Huron, écoutez-moi bien. Vos yeux vous disent que je ne suis pas une femme ordinaire. Je ne vous dirai pas que je suis la reine de ce pays, car elle habite une contrée bien éloignée ; mais il existe sous nos puissants monarques des rangs de divers degrés, et j’en occupe un. Je n’ai pas besoin de vous dire quel est précisément ce rang, car vous ne pourriez le comprendre. Consultez seulement vos yeux, ils vous apprendront qui je suis, et ils vous diront qu’en m’écoutant, vous écoutez une femme qui peut être votre amie ou votre ennemie, suivant l’accueil qu’elle recevra de vous.

Elle parla ainsi d’un ton ferme et imposant qui était réellement surprenant dans la circonstance où elle se trouvait. Son discours fut traduit en dialecte indien par Deerslayer, et il fut écouté avec un respect et une gravité qui étaient d’un augure favorable. Mais il