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DEERSLAYER

courroux des guerriers s’enflamma en entendant un tel reproche sortir de la bouche d’un homme qui méprisait leur adresse au point de ne pas même cligner un œil quand on lui tirait un coup de mousquet à une distance qui était à peine suffisante pour ne pas lui brûler le visage. Rivenoak vit que le moment était critique, et, conservant encore l’espoir de faire entrer dans sa tribu un chasseur si renommé, sa politique intervint à temps pour empêcher qu’on n’eût recours sur-le-champ à des tortures qui auraient nécessairement causé sa mort au milieu de tourments inouïs. Il s’avança au milieu du groupe de guerriers irrités, leur adressa la parole avec sa logique astucieuse, et parvint à arrêter l’accès de férocité qui était sur le point d’éclater.

— Je vois ce que c’est, dit-il ; nous avons fait comme les Faces-Pâles, qui ferment leurs portes le soir, par crainte des hommes rouges. Ils y emploient tant de barres, que lorsque le feu y prend pendant la nuit, ils sont brûlés avant d’avoir eu le temps de les détacher. Nous avons trop serré les liens du prisonnier ; les cordes empêchent ses membres de trembler. Détachez-le, et nous verrons de quoi son corps est fait.

Il arrive souvent que, lorsqu’on éprouve de grandes difficultés dans un projet qu’on a fort à cœur, on adopte avec empressement tout expédient proposé, quelque douteux qu’en soit le succès, plutôt que d’y renoncer. L’idée du chef fut saisie à l’instant, et plusieurs mains se mirent à couper les cordes qui attachaient notre héros à l’arbre. En une demi-minute, il se trouva aussi libre qu’il l’était quand il s’était mis à fuir sur la montagne. Il lui fallait pourtant quelques instants pour recouvrer l’usage de ses membres, la circulation de son sang ayant été gênée par ses ligatures, et le politique Rivenoak les lui accorda sous le prétexte que, lorsque ses membres auraient repris leur vigueur ordinaire, son corps serait plus disposé à céder à la crainte et à en donner des marques. Son but véritable était pourtant de laisser aux passions furieuses qui agitaient le cœur de ses guerriers le temps de se calmer, et il y réussit. Cependant Deerslayer, en secouant les bras, en frappant des pieds, et en faisant quelques pas, sentit bientôt son sang circuler librement, et recouvra toutes ses forces physiques comme s’il ne lui fût rien arrivé.

Il est rare que les hommes songent à la mort quand ils sont dans la force de leur santé. Après avoir été garrotté de manière à ne pouvoir faire aucun mouvement, et sur le point, comme il avait tout lieu de le croire, d’être envoyé dans l’autre monde, se trouver tout à coup, et d’une manière si inattendue, les membres libres, et