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OU LE TUEUR DE DAIMS.

de sa mère, le penchant de son propre cœur, et peut-être, pouvons-nous dire, les conseils de cet esprit pur et invisible qui semblait veiller sur elle et diriger toutes ses actions, se réunissant pour maîtriser les craintes naturelles à son sexe, et pour l’armer de hardiesse et de résolution, elle s’avança dans le cercle d’un air doux et timide, suivant sa coutume, mais le visage animé, et parlant comme si elle se fût sentie soutenue par l’autorité de Dieu.

— Pourquoi tourmentez-vous ainsi Deerslayer, hommes rouges ? s’écria-t-elle ; que vous a-t-il fait pour que vous menaciez ainsi ses jours ? Qui vous a donné le droit de le juger ? Supposez qu’un de vos couteaux ou de vos tomahawks l’eût atteint, lequel de vous pourrait guérir cette blessure ? D’ailleurs, nuire à Deerslayer, c’est nuire à votre ami. Quand mon père et Hurry Harry sont venus pour enlever vos chevelures, il a refusé de les accompagner, et il est resté dans la pirogue. Vous tourmentez votre ami en tourmentant ce jeune homme.

Les Hurons l’écoutèrent avec une grave attention, et quand elle eut cessé de parler, un d’entre eux, qui savait l’anglais, traduisit son discours dans leur langue. Dès que Rivenoak eut compris ce qu’elle avait dit, il lui répondit dans son propre dialecte, et l’interprète traduisit sa réponse en anglais.

— Ma fille est la bienvenue à parler, dit le vieil orateur avec un ton de douceur et en souriant comme s’il eût parlé à un enfant. — Les Hurons sont charmés d’entendre sa voix, et ils écoutent ce qu’elle dit, car le Grand-Esprit se sert souvent de pareilles langues pour parler aux hommes. Mais, pour cette fois, elle n’a pas ouvert les yeux assez grands pour voir tout ce qui s’est passé. Deerslayer n’est pas venu pour enlever nos chevelures, c’est la vérité. Pourquoi n’est-il pas venu ? Elles sont sur nos têtes ; nous y avons laissé croître la touffe de guerre ; un ennemi hardi doit étendre le bras pour la saisir. Les Iroquois[1] sont une nation trop grande pour punir ceux qui enlèvent des chevelures : ils aiment à voir les autres faire ce qu’ils font eux-mêmes. Que ma fille regarde autour d’elle, et qu’elle compte mes guerriers. Si j’avais autant de mains que quatre guerriers, mes doigts seraient en moindre nombre que mes Hurons ne l’étaient quand ils sont arrivés ici. Maintenant il me manque une main entière. Où sont les doigts de cette main ? Deux ont été coupés par cette Face-Pâle, et mes guerriers veulent voir

  1. Les Iroquois étaient divisés en quatre tribus dont les Hurons étaient une. C’est pourquoi l’auteur donne indifféremment à la peuplade dont il s’agit ici le nom de Hurons ou d’Iroquois.