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DEERSLAYER

— Que vous avaient fait ces guerriers, cruel, pour les tuer ainsi ? C’étaient les meilleurs chasseurs et les plus intrépides jeunes gens de toute leur tribu. Le Grand-Esprit voulait qu’ils vécussent jusqu’à ce qu’ils fussent desséchés comme les branches du chêne, et qu’ils tombassent par leur propre poids.

— Allons, allons, Sumac, reprit Deerslayer, qui aimait trop la vérité pour écouter avec patience de pareilles hyperboles, même sortant du sein déchiré d’une veuve, c’est porter un peu trop loin les privilèges d’une Peau-Rouge. Ni l’un ni l’autre n’était pas plus un jeune homme qu’on ne pourrait vous appeler une jeune femme ; et quant à ce que le Grand-Esprit voulait qu’ils mourussent autrement qu’ils ne l’ont fait, c’est une grande méprise, vu que tout ce que veut le Grand-Esprit est toujours sûr d’arriver. Ensuite il est assez clair qu’aucun de vos amis ne m’a fait aucun mal ; mais si je leur en ai fait, c’est parce qu’ils voulaient m’en faire. C’est la loi naturelle : je les ai tués pour ne pas être tué moi-même.

— Cela est vrai. Sumac n’a qu’une langue, et elle n’a pas deux manières de raconter une histoire. L’homme blanc a tué les Peaux-Rouges pour ne pas être tué par eux. Les Hurons sont justes, ils l’oublieront. Les chefs fermeront les yeux et feront semblant de ne pas l’avoir vu. Les jeunes gens croiront que le Loup-Cervier et la Panthère sont allés chasser dans des bois bien loin d’ici, et Sumac prendra ses enfants par la main, entrera dans le wigwam de l’homme blanc, et lui dira : — Voyez ! voici vos enfants ; ils sont aussi les miens ; nourrissez-nous, et nous vivrons avec vous.

— Ces conditions sont inadmissibles, Sumac ; je suis sensible à vos pertes, et je sens qu’elles sont pénibles à supporter ; mais je ne puis accepter vos conditions. Quant à vous fournir de la venaison, si nous vivions dans le voisinage l’un de l’autre, cela ne me serait pas bien difficile ; mais pour devenir votre mari et le père de vos enfants, je vous dirai, pour vous parler franchement, que je n’en ai aucune envie.

— Regardez cet enfant, barbare ! il n’a plus de père pour lui apprendre à tuer un daim et à enlever une chevelure. Voyez cette petite fille, quel jeune homme viendra chercher une femme dans un wigwam qui n’a plus de chef ? J’en ai encore d’autres dans mon village dans le Canada, et le Tueur de Daims aura autant de bouches à nourrir qu’il peut le désirer.

— Je vous dis, femme, s’écria Deerslayer dont l’imagination ne secondait nullement l’appel que faisait la veuve à sa sensibilité, et que les tableaux qu’elle lui présentait commençaient à rendre plus