Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/451

Cette page a été validée par deux contributeurs.
446
DEERSLAYER

Rivenoak seul était visible. Les autres semblaient l’avoir entièrement abandonné. Les seules marques qui se faisaient voir que les Indiens avaient tout récemment campé dans cet endroit, étaient leurs feux à peine éteints, et la terre qui montrait encore les traces de leurs pieds. Un changement si subit et si inattendu causa beaucoup de surprise et quelque inquiétude à Deerslayer, car il n’avait jamais rien vu de semblable pendant son long séjour chez les Delawares. Il soupçonna pourtant, et avec raison, que les Hurons n’avaient fait que camper dans quelque autre endroit, et que le but de ce changement mystérieux était de lui inspirer des inquiétudes et des craintes.

Rivenoak s’enfonça sous le couvert de la forêt, et laissa Deerslayer seul. Un homme qui n’aurait pas été au courant de pareilles scènes aurait cru le jeune chasseur en pleine liberté ; mais celui-ci, quoique un peu surpris de l’aspect dramatique des choses, connaissait trop bien ses ennemis pour s’imaginer qu’il était libre de ses mouvements. Cependant il ignorait jusqu’à quel point les Hurons avaient dessein de porter leurs artifices, et il résolut de décider la question le plus tôt possible. Affectant une indifférence qu’il était loin d’éprouver, il se promena en long et en large, s’approchant toujours davantage de l’endroit où il avait débarqué. Tout à coup, il doubla le pas, sans avoir l’air de vouloir fuir, et, traversant les buissons, il s’avança sur le rivage. La pirogue avait disparu, et après avoir suivi la côte au nord et au sud, et l’avoir bien examinée, il ne put voir où on l’avait placée. Il était donc évident qu’on avait voulu la cacher à ses yeux.

Deerslayer comprit mieux alors sa situation présente. Il était prisonnier sur cette étroite langue de terre, sans aucun doute gardé à vue, et sans autre moyen de s’échapper qu’à la nage. C’était un expédient presque désespéré ; il y songea pourtant encore une fois ; mais la certitude que la pirogue serait envoyée à sa poursuite le détourna de cette tentative. Tandis qu’il était sur le rivage, il remarqua un endroit où l’on avait coupé les buissons, dont les branches étaient amoncelées les unes sur les autres. Il en écarta quelques-unes, et vit quelles couvraient le corps de la Panthère. Il se douta qu’on avait pris ce parti pour le garder jusqu’à ce qu’on eût trouvé une place convenable pour l’enterrer, et mettre sa chevelure à l’abri du couteau à scalper. Il regarda douloureusement le château ; tout y paraissait silencieux et désolé, et un sentiment d’isolement et d’abandon s’emparant de lui, ses idées devinrent encore plus sombres.