doublé l’extrémité de la pointe avant de prendre cette direction, sans quoi elle serait retournée vers le rivage. Cependant il en passa assez près pour qu’on pût apercevoir la cime de quelques arbres. Il ne pouvait en être alors à plus de cent pieds, mais heureusement un léger courant d’air, venant du sud-ouest, commençait à l’en éloigner.
Le jeune chasseur sentit la nécessité urgente de recourir à quelque expédient pour s’écarter davantage de ses ennemis, et, s’il était possible, pour informer ses amis de sa situation. La distance rendait le dernier projet difficile, et, la proximité de la pointe faisait que l’exécution du premier était indispensable. Une grande pierre ronde et lisse était, suivant l’usage, à chaque extrémité de la pirogue, tant pour servir de lest que pour s’y asseoir. Celle qui était à l’arrière était à la portée de ses pieds, et il réussit à la tirer entre ses jambes jusqu’à ce qu’il pût la saisir avec ses mains, après quoi il la fit rouler jusqu’à ce qu’elle fût à côté de l’autre sur l’avant, ce qui maintint l’assiette de la nacelle, tandis qu’il se glissait lui-même le plus loin possible sur l’arrière. Avant de quitter le rivage, et dès qu’il s’était aperçu qu’on avait enlevé de la pirogue les deux rames, il y avait jeté une branche de bois mort, et elle était à portée d’une de ses mains. Ôtant le bonnet de chasse qu’il portait, il le mit sur un bout de ce bâton, et le laissa paraître au-dessus du bord de la pirogue, aussi loin de lui qu’il le put. Il n’eut pas plutôt exécuté cette ruse de guerre, qu’il eut la preuve qu’il n’avait pas suffisamment apprécié l’intelligence de ses ennemis. Au mépris de cet artifice, un coup de mousquet fut tiré vers une autre partie de la pirogue, et la balle lui effleura la peau du bras gauche. Il reprit son bonnet, et le remit sur-le-champ sur sa tête comme une sauvegarde. Mais, ou les Hurons ne s’aperçurent pas de cette seconde ruse, ou — ce qui est le plus probable — ils se croyaient sûrs de reprendre leur prisonnier, et voulaient l’avoir vivant entre leurs mains.
Pendant quelques minutes, Deerslayer resta immobile ; mais l’œil toujours appliqué au trou fait par la première balle, et donnant sur le rivage, il se réjouit beaucoup en voyant qu’il s’éloignait de plus en plus de la terre, et quand il regarda par-dessus le bord de la pirogue, il ne vit plus aucune cime d’arbre. Mais il remarqua bientôt que sa nacelle tournait lentement, car les deux trous faits par la même balle lui offraient plus que les deux extrémités du lac. Il pensa alors à son bâton, dont un bout était en crosse, ce qui lui donnait quelque facilité à s’en servir pour ramer sans être obligé