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OU LE TUEUR DE DAIMS.

heureusement pour lui, était à une assez grande distance de l’autre côté de la pointe.

Peut-être, pendant toute cette journée, la situation de Deerslayer n’avait-elle pas été plus critique qu’en ce moment ; du moins il ne l’avait jamais trouvée si difficile à supporter. Il resta deux ou trois minutes sans oser faire aucun mouvement, se fiant à son oreille, et comptant que, si quelque Huron tentait d’approcher de lui à la nage, le bruit de l’eau le lui apprendrait. Une ou deux fois, il crut entendre le bruit de cet élément agité par un bras circonspect, mais ce n’était que celui que faisait l’eau en frappant sur le sable ; car il est rare que l’eau de ces petits lacs soit assez complètement tranquille pour ne pas avoir un mouvement de hausse et de baisse le long du rivage, comme pour imiter l’océan. Tout à coup toutes les voix se turent, et il y succéda un silence semblable à celui de la mort, et une tranquillité aussi profonde que s’il n’eût existé dans tous les environs que la vie végétale. La pirogue s’était alors assez éloignée du rivage pour que Deerslayer, toujours dans la même position, ne vît plus que l’azur du firmament. Il ne put supporter longtemps cette incertitude, car il savait que ce silence si profond était de mauvais augure, les sauvages n’étant jamais si silencieux que lorsqu’ils vont frapper un coup, comme la panthère avance le pied sans bruit quand elle va prendre son élan. Il prit son couteau, et il allait faire un trou dans l’écorce afin de voir le rivage ; mais il songea que les Hurons pourraient s’apercevoir de cette opération, et qu’ils apprendraient ainsi vers quel point ils devaient diriger leurs balles. En ce moment un coup de feu partit, et la balle perça les deux côtés de la pirogue, à moins de dix-huit pouces de l’endroit où était sa tête. Ce coup ne pouvait partir de bien loin, mais Deerslayer avait essuyé de plus près le feu des Hurons, trop peu de temps auparavant, pour en être épouvanté. Il resta tranquille encore une demi-minute, et alors la cime d’un chêne se montra de nouveau à ses yeux.

Ne pouvant s’expliquer la cause de ce changement, il ne put retenir plus longtemps son impatience. Traînant son corps le long de la pirogue avec la plus grande précaution, il appliqua un œil à l’un des trous faits par la balle, et heureusement il obtint de là une assez bonne vue de la pointe. La pirogue, par une de ces impulsions imperceptibles qui décident si souvent du sort des hommes aussi bien que le cours ordinaire des choses, avait incliné vers le sud, et descendait lentement le lac. Il fut heureux pour Deerslayer qu’il l’eût poussée assez vigoureusement en partant pour qu’elle eût