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succès était certain. Aucun des guerriers n’avait gardé ses armes, dont le poids aurait retardé sa marche ; elles étaient entre les mains des femmes et des enfants les plus âgés ; encore la plupart de ceux-ci avaient préféré se mettre à la poursuite du fugitif. Le risque n’était donc pas bien grand, et tout semblait favorable à l’exécution de son plan. Le terrain continuait à aller en pente jusque alors, et il courait de manière à pouvoir espérer de voir bientôt la fin de ses fatigues.

Pendant qu’il se rapprochait ainsi de la pointe, il rencontra plusieurs femmes et quelques enfants. Les premières essayèrent de lui jeter des branches sèches entre les jambes ; mais la terreur inspirée par la mort de la Panthère était telle, qu’aucune n’osa s’approcher de lui assez près pour l’inquiéter. Il passa près d’elles d’un air triomphant et arriva enfin à la frange de buissons. Il la traversa et se trouva encore une fois sur le bord du lac, et à moins de cinquante pas de la pirogue. Il cessa de courir, car il sentait combien il lui importait alors de ne pas perdre haleine ; il s’arrêta même un instant pour boire de l’eau dans le creux de sa main et humecter ses lèvres desséchées. Cependant chaque moment était précieux, et il fut bientôt à côté de la pirogue. Le premier coup d’œil qu’il y jeta lui apprit qu’on en avait retiré les rames. C’était un cruel désappointement après tous les efforts qu’il avait faits, et il pensa un instant à renoncer à tout espoir et à braver ses ennemis en rentrant dans leur camp avec dignité. Mais un hurlement infernal qui ne peut partir que du gosier du sauvage d’Amérique lui annonça l’arrivée prochaine des Hurons les plus agiles qui le poursuivaient, et l’instinct de la vie l’emporta. Ayant donné une direction convenable à l’avant de la pirogue, il entra dans l’eau en la poussant devant lui, et réunissant toutes ses forces et toute sa dextérité pour faire un dernier effort, il s’y élança de manière à tomber de son long au fond de cette légère nacelle sans nuire à l’impulsion qu’il lui avait donnée. Il y resta couché sur le dos, tant pour reprendre haleine que pour se mettre à l’abri des coups de fusil. Si cette impulsion, ou l’action d’un vent ou d’un courant favorable pouvaient le conduire à une distance du rivage qui lui permît de ramer avec ses mains, il ne doutait pas qu’il n’attirât l’attention de Chingachgook et de Judith, qui viendraient à son aide sur une autre pirogue. Étendu au fond de son esquif, il calculait à quelle distance il était de la terre par la cime des arbres qu’il voyait. Les voix nombreuses sur le rivage annonçaient que les Hurons y étaient rassemblés, et il crut même les entendre parler de mettre du monde sur le radeau, qui,