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DEERSLAYER

autres avaient le titre de chefs ; mais les deux dont nous parlons avaient une influence si supérieure à celle des autres, que, lorsqu’ils étaient d’accord, personne ne contestait leurs ordres ; et quand ils étaient d’avis contraire, la tribu hésitait, comme des hommes ayant perdu le principe qui dirigeait toutes leurs actions. Il était aussi conforme à l’usage, et nous pourrions peut-être ajouter à la nature, que ces deux chefs dussent leur élévation, l’un à son esprit, et l’autre à des qualités purement physiques. Le premier était un vieillard connu par son éloquence dans la discussion, par sa sagesse dans le conseil, et par sa prudence dans toutes ses mesures ; son compétiteur, sinon son rival, était un guerrier qui s’était distingué à la guerre, d’une férocité sans exemple, et dont l’intelligence n’était remarquable que par l’astuce et par les expédients qu’il y puisait. Le premier était Rivenoak, avec qui nos lecteurs ont déjà fait connaissance ; l’autre se nommait la Panthère, dans la langue du Canada, le français étant celle d’une partie de cette colonie. Le nom de ce chef était censé indiquer ses qualités, suivant l’usage des hommes rouges, la férocité, l’astuce et la perfidie étant peut-être les traits distinctifs de son caractère. Ce titre lui avait été conféré par les Français, et il n’en faisait que plus de cas d’après cette circonstance, les Indiens se soumettant, dans la plupart des choses de cette nature, à l’intelligence supérieure de leurs alliés à face pâle. On verra par la suite si ce sobriquet était mérité.

Rivenoak et la Panthère étaient assis à côté l’un de l’autre, attendant l’arrivée du prisonnier, quand Deerslayer mit un pied sur le sable. Ni l’un ni l’autre ne prononcèrent une syllabe avant que le jeune chasseur se fût avancé au milieu du cercle, en face d’eux, et qu’il eût lui-même proclamé son arrivée. Il le fit d’un ton ferme, quoique avec la simplicité qui le caractérisait.

— Me voici, Mingos, dit-il dans le dialecte des Delawares, que la plupart des Hurons comprenaient ; me voici, et voilà le soleil. L’un n’est pas plus fidèle aux lois de la nature que l’autre ne l’a été à sa parole. Je suis votre prisonnier, faites de moi ce qu’il vous plaira. Mes affaires avec les hommes et avec la terre sont terminées : il ne me reste qu’à aller trouver le dieu des hommes blancs, conformément au devoir et aux dons d’un homme blanc.

Un murmure d’approbation échappa même aux femmes après qu’il eut prononcé ces paroles, et le désir d’adopter dans la tribu un homme d’un caractère si intrépide fut un instant presque général. Cependant tous ne le partageaient pas, et parmi les principaux récalcitrants se trouvaient la Panthère, et sa sœur le Sumac, ainsi