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OU LE TUEUR DE DAIMS.

guerriers et les orateurs soient tout oreilles. Lorsque Chingachgook verra le père de Tamenund avec sa chevelure, et le corps peint comme pendant sa vie, alors il croira les missionnaires.

— Voir est croire, bien certainement. — Hélas ! et quelques-uns de nous peuvent voir ces sortes de choses plus tôt que nous ne le pensons. — Je comprends ce que vous voulez dire, du père de Tamenund, Serpent, et l’idée n’est pas mauvaise. Tamenund est à présent un vieillard de quatre-vingts ans bien comptés, et son père fut scalpé, torturé et brûlé, quand son fils, le prophète actuel, était encore tout jeune. Sans doute si l’on pouvait voir ce que vous dites, il ne serait pas bien difficile de croire tout ce que les missionnaires nous disent. Je ne me déclare pourtant pas contre leurs opinions, car il est bon que vous sachiez, Serpent, que le grand principe du christianisme est qu’il faut croire sans voir ; et l’on doit toujours agir conformément aux principes de sa religion, quelle qu’elle soit.

— Cela est étrange pour une nation sage. L’homme rouge regarde de tous ses yeux, afin de voir et de comprendre.

— Oui, chef, cela est plausible et agréable à l’orgueil humain. Et pourtant cette idée n’est pas aussi profonde qu’elle le paraît. Si nous pouvions comprendre tout ce que nous voyons, il pourrait y avoir non-seulement du bon sens, mais de la sûreté, à refuser d’ajouter foi à ce qui nous paraît incompréhensible ; mais quand il y a tant de choses auxquelles on peut dire que nous n’entendons rien, il n’y a ni utilité ni raison à être difficile sur une en particulier. Quant à moi, Delaware, toutes mes pensées n’ont pas roulé sur le gibier, toutes les fois que j’ai été seul à la chasse, suivant la piste du daim, ou l’attendant à l’affût. J’ai passé agréablement bien des heures dans ce que ma nation appelle contemplation. Dans ces occasions, l’esprit est actif, quoique le corps soit indolent. Un endroit découvert sur la côte d’une montagne, et d’où l’on puisse voir de bien loin le ciel et la terre, est la meilleure place pour se former une idée juste du pouvoir du Manitou, et de sa propre impuissance. En ces occasions, on n’est pas disposé à s’arrêter à de petites difficultés dans la compréhension, vu qu’il y en a de bien plus grandes qui les cachent. Il m’est assez facile de croire dans de pareils moments, et si le Seigneur, dans l’origine, forma l’homme avec de la terre, comme on dit que cela est écrit dans la Bible, et qu’il le réduise en poussière après sa mort, je ne vois pas qu’il lui soit bien difficile de lui rendre son corps, quoiqu’il n’en reste plus que des cendres. Toutes ces choses sont hors de la portée de notre intelligence, quoique nous puissions en sentir la possibilité. Mais de toutes